Quand vous ne voyez pas le service, c’est que vous êtes le produit !

La lecture de la semaine, il s’agit d’un article de l’hebdomadaire américain The Nation, il est signé par Ari Melber, journaliste et spécialiste des réseaux sociaux, il s’intitule « Le secret de la valorisation de Facebook ». L’occasion de revenir sur un événement largement commenté et dont nous avions dit quelques mots ici même.

« Une chose manque dans tous les commentaires au sujet de la valorisation boursière de Facebook », commence Ari Balmer. « Tout le monde sait à quel point l’entreprise est populaire, avec ses 845 millions d’utilisateurs, et à quel point elle marche bien, avec une valorisation potentielle à 100 milliards de dollars (soit 5 fois celle de Google quand il fut introduit en Bourse en 2004). Mais qu’est-ce qui fait vraiment de Facebook une entreprise aussi rentable ? » demande Ari Melber.

C’est vous, répond-il. Ses utilisateurs. Et plus exactement, ce que vous y mettez.

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Image : Mark Zuckerberg nous dit merci !

Dans les faits, à l’époque contemporaine, l’introduction en Bourse de Facebook constituera l’un des plus gros transferts volontaires de propriété d’une masse de gens à une entreprise.

Le mot « volontaire » est, selon Melber, une façon plutôt gentille de voir les choses. Les études montrent que la plupart des utilisateurs de Facebook ne savent pas qu’ils abandonnent tout droit sur leurs photos et leurs informations quand ils acceptent les conditions générales d’utilisation de l’entreprise. Après tout, qui a le temps de lire les 4 000 mots que comptent ces conditions d’usage ?

Mais si vous les lisez, poursuit Melber, vous apprendrez que tout contenu relevant de la propriété intellectuelle de l’utilisateur (comme les photos et les vidéos) est cédé à Facebook « sous une licence mondiale, non exclusive, transférable, sous-licenciable, et gratuite ». Cela signifie que Facebook peut faire ce qu’il veut de ce matériel.

C’est un pouvoir vraiment exorbitant ainsi cédé à un fournisseur de service, ajoute Melber – comme si un service de messagerie revendiquait la propriété intellectuelle de chaque mot qui est échangé dans son système.

Il n’y a, par ailleurs, aucun moyen de récupérer sa propriété intellectuelle dans Facebook. Si des usagers ferment leurs comptes, Facebook conserve la même licence pour tous les contenus qui « ont été partagés avec les autres ». Chaque mot écrit sur Facebook étant partagé, l’entreprise garde donc la propriété de tout ce qui a été mis sur son site.

C’est donc un arrangement à sens unique, qui est d’autant plus remarquable que Facebook a réussi à convaincre toujours plus d’utilisateurs qu’il offre un service « gratuit ». Certes, techniquement, l’entreprise ne fait rien payer à ses usagers. Le micropaiement est réservé aux journaux. Les milliardaires voient plus loin. Facebook trouve ses revenus dans un produit qui a beaucoup plus de valeur : les données personnelles.

Il est difficile de mesurer quelle part de la valeur de Facebook réside dans la récolte des données de ses utilisateurs. Pour être tout à fait juste, aujourd’hui, la plus grosse part de ses revenus provient de la publicité, ce qui est carrément démodé, dit Melber. Certaines de ces publicités sont ciblées individuellement, les autres trouveraient sans doute leur place sur n’importe quel site très fréquenté. Les 15 % restant des revenus de l’entreprise proviennent des jeux, qui n’ont rien à voir avec le vol de vos albums photo.

Mais la vraie valeur de Facebook ne réside pas dans son bilan comptable. Il s’agit d’un pari sur l’avenir. Beaucoup d’analystes boursiers l’ont dit, les revenus de Facebook aujourd’hui, autour de 3 milliards de dollars, ne justifient absolument pas la valorisation de l’entreprise. Le jackpot, en fin de compte, devra venir d’une monétisation plus agressive de l’expérience Facebook.

Alexis Madrigal, qui écrit sur la technologie pour The Atlantic, avance que l’entreprise devra tirer de chacun de ses utilisateurs actifs 4,39 dollars pour justifier une capitalisation boursière de 100 milliards de dollars. Comment ? Madrigal imagine un autre programme pour diriger les utilisateurs dans des publicités pour des produits qu’ils pourraient chercher à se procurer via le site. « Je m’attends à voir la résurrection de quelque chose de l’ordre du malheureux plan Beacon«  (un système publicitaire ciblé lancé par Facebook en 2007 qui utilisait l’activité des utilisateurs sur des sites partenaires, et permettait donc un ciblage très précis. Il a été abandonné suite à un mouvement d’usagers, en 2009). Madrigal écrit : « Cette fois, ce sera plus subtile, mais Facebook arrivera à vous montrer des produits que vous et vos amis aimez. Vous partagerez sans friction tous vos goûts avec vos amis – et avec les publicitaires. »

Le partage, reprend Melber, est un de ces mots dont le sens habituel disparaît sur Facebook. Comme « volontaire ». Ou « gratuit ». Ou « ami ». Beacon ne consistait pas à partager tous vos goûts, ce qui implique les notions de choix et de réciprocité. Le programme mesurait les habitudes d’achat des utilisateurs pour leur suggérer des publicités personnalisées, sans aucun avertissement. Le programme a été retiré à la suite d’un backlash, mais le signal était clair. Les utilisateurs de Facebook n’étaient pas des consommateurs à satisfaire : ils étaient des produits à vendre.

Le modèle de l’entreprise – de la dépossession première des biens des utilisateurs jusqu’à la manière dont on peut les exploiter – est la démonstration parfaite d’un vieil adage selon lequel la gratuité en ligne est une illusion. Comme l’exprimait un commentaire anonyme sur un site : « Si vous ne payez pas, c’est que vous n’êtes pas un consommateur, mais un produit à vendre ».

Xavier de la Porte

Jérémie ZimmermannXavier de la Porte, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.

L’émission du 25 février 2012 était consacrée à la grande offensive du copyright, c’est-à-dire comprendre pourquoi le droit d’auteur se durcit à l’heure d’internet, en compagnie de Jérémie Zimmermann, porte-parole de la Quadrature du Net, association qui milite pour un Internet libre, qui explique clairement : « Tenter de contrôler l’internet comme un énième canal de distribution conduit invariablement à avoir un impact sur les communication interpersonnelles donc sur les libertés fondementales ».

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0 commentaires

  1. “Si vous ne payez pas, c’est que vous n’êtes pas un consommateur, mais un produit à vendre”.

    mais la valorisation de l’entreprise est quand même au final un pari sur le potentiel de consommation des utilisateurs pour un service ou un produit tiers

    la gratuité pour chacun n’est possible que grâce à la consommation par tous

  2. @pierre Non, il ne s’agit pas de vendre aux utilisateurs de Facebook.
    La notion de « vous êtes le produit » est que, par une publicité ciblée, Facebook vend ce ciblage à des annonceurs, car il est reconnu que plus le ciblage est grand, moins on a besoin de faire de la publicité, on n’en fait qu’à ceux qui sont suscieptobles d’acheter.

    Ex. : mon entreprise vend des couches pour personnes âgées incontinentes ; déjà je ne vais peut-être pas lorgner du côté de F8, mais bon admettons : je vais demander à F8 de n’afficher ma pub que dans les pages des groupes qui contiennent « Incontinence » dans le titre ou le descriptif.

    Naturellement, on peut raffiner autant qu’on veut que dans cet exemple trivial, mais ça veut dire que je vais avoir peu d’affichages de pubs mais que les visites sur mon site proviendront de personnes étant dans ma « cible », donc plus facilement « converties » en acheteurs.

    —————-

    A part ça, je trouve cela étrange que tout le monde ne jure que par le gratuit et en parallèle pousse de grands cris lorsqu’on leur met de la pub, alors que Google, Métro, 20Minutes, TF1 et consorts ont déjà prouvé maintes fois que, lorsqu’on est un média gratuit, on vit par (et donc pour) ses « clients », c’est à dire les annonceurs. Et ce qu’on vend, c’est du « temps de cerveau disponible » ; avec un média comme un réseau social, on peut particulièrement cibler les pubs.
    A vrai dire, on se rapproche du « permission marketing », car pourquoi ne pas avoir de la pub pour les meilleures offres de « PC pour gamers » sur un groupe de F8 consacré au sujet des jeux sur ordinateur…

    Ce qu’il faudrait, par contre, c’est des offres payantes pour F8 : payer pour ne pas être tracé. Là, ce serait équitable. Je donne à F8 mes 5 dollars (le montant de la valorisation par utilisateur citée dans l’article) et j’utilise Facebook tranquillement, sans pub et sans pistage.

    Qu’en dites-vous ?