Privly : utiliser les services web sans leur confier nos contenus

« Votre contenu doit rester votre contenu. Pourtant, Facebook, Google, Twitter et tant d’autres services web ne semblent pas d’accord. Chaque fois que vous acceptez leurs conditions d’utilisation, vous leur donnez le droit de faire ce qu’ils veulent de vos données. Le plus souvent, cela implique la vente de votre vie privée.

Les fameuses Conditions générales d’utilisation que Lionel Maurel appelle très justement les « conditions générales de mystification » sont effectivement sensées protéger nos données privées, mais le plus souvent, elles les transforment en marchandises. Bien souvent notre choix est alors réduit à sa plus simple expression : ou accepter le vol de nos données ou ne pas utiliser le service. Et pour beaucoup d’utilisateurs, « le retrait n’est pas une option ».

D’autres solutions sont-elles possibles ?

Peut-être bien. Privly, vient de faire la preuve qu’une autre solution était possible. En installant une simple extension à votre navigateur, vous être en mesure de garder le contrôle de votre contenu. Comment ? Pour l’utilisateur qui a les extensions installées, le fonctionnement est complètement transparent. Il tape ses mails ou ses messages dans Facebook ou Twitter, sans n’avoir rien à faire de spécial. Mais ceux qui n’ont pas l’extension installée, eux, plutôt que de voir le message ne voient qu’un simple lien sur lequel ils doivent cliquer pour accéder. Les messages que vous écrivez se transforment automatiquement en liens vers les serveurs de Privly. En fait, d’un coup, vos mails, vos messages sur Facebook ou Twitter deviennent pour ses services des liens externes auxquels ils n’ont plus accès directement. Gmail n’a plus accès à votre contenu pour formaliser sa publicité.

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Image : Explication du fonctionnement du service. Les gens avec qui vous êtes en relation et qui utilisent l’extension PrivLy voient le message, les autres ne voient qu’un lien.

En fait, comme l’explique très simplement le service dans son à propos, pour ceux qui l’utilisent, l’extension Privly extrait automatiquement les données du lien et vous permet d’utiliser les services du web, le plus normalement du monde, « sans couture « , sans fournir vos données à ceux qui les exploitent. « Vos contenus restent vos contenus », clament très simplement les fondateurs de Privly, Sean McGregor et ses comparses (vidéo).

Comme l’explique Alexis Madrigal, rédacteur en chef de The Atlantic, Privly est un « manifeste de confidentialité implanté dans le code ». Privly montre que la puissance que s’accaparent les fournisseurs de service pourrait reposer sur un feu de paille si des services de ce type venaient à éclore. En fait, Privly montre que les utilisateurs pourraient avoir plus de maîtrise sur leurs données, sans renoncer aux fonctions sociales de Twitter, Facebook ou Gmail. En ce sens, Privly est une contribution précieuse pour montrer d’autres voies pour protéger son contenu en ligne, sans renoncer aux fonctions du web social.

« Twitter, Google, Facebook vous font choisir entre la technologie moderne et la vie privée. Mais c’est un faux choix », estime Sean McGregor, l’initiateur de Privly. Grâce à cette extension, Google, Facebook ou Twitter n’ont plus accès à vos contenus. Bien sûr, rien n’assure de l’indépendance de Privly à l’avenir, mais l’essentiel n’est pas là. L’idée est assez simple, et bien des fournisseurs de services pourraient la proposer. L’essentiel est dans la preuve de concept fonctionnelle et les perspectives qu’elle offre.

Le contrôle du contenu par l’utilisateur ouvre d’ailleurs d’autres perspectives fascinantes, insiste Madrigal. L’e-mail que vous avez envoyé via Gmail devient rééditable, même après avoir été reçu ! Privly pourrait être un service complètement distribué et crypté, permettant un développement très protecteur des contenus des utilisateurs, par exemple porté par des ONG, assurant la plus grande confidentialité aux contenus.

La démonstration fait surgir d’un coup nombre de nouvelles questions. Voulons-nous d’un web social modifiable par les utilisateurs ? Voulons-nous leur rendre autant de puissance ? Le web social dans lequel les utilisateurs ne possèdent rien n’est-il pas en fait bien agréable, car borné et maîtrisable ?… Alors que le web applicatif et serviciel est déjà en train de « tuer » l’internet originel, Privly nous montre que cette balkanisation pourrait aller plus loin encore, si une multitude de services de ce type se mettaient à exister. A croire que l’internet a toujours tendance à renforcer les tendances en cours : à la balkanisation du Net entre les géants du secteur, répond d’un coup une possible balkanisation par les utilisateurs, qui pourrait s’avérer encore plus fragmentaire.

Privly renverse d’un coup le paradigme de l’internet des applications où l’internaute n’est plus maître de rien. Il nous propose une option à laquelle nous ne sommes plus habitués… et qui d’un coup nous laisse un peu abasourdis, comme si nous étions un peu sonnés à la perspective de pouvoir protéger nos contenus. Sean McGregor et ses complices viennent de proposer un projet qui pourrait être très perturbateur pour l’écosystème actuel. Tant mieux, nous manquions terriblement d’outils pour permettre aux utilisateurs de retrouver du pouvoir.

Hubert Guillaud

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0 commentaires

  1. Bonne idée… sauf que personne n’a pensé que par exemple Facebook ou Twitter pouvait très bien finir par interdire ce genre de lien ?

  2. @ParadiseLost : oui, oui, bien sûr qu’ils peuvent, mais je pense que cela plairait beaucoup aux utilisateurs qu’ils essayent ;-).

  3. Reste la question du modèle de rentabilité. A supposer que des services comme celui que tu présentes se généralisent, ceux qui se rentabilisent par l’exploitation des données personnelles perdraient leur base économique (« feu de paille »). D’où deux issues possibles: soit la « régression » technologique, soit l’installation de nouveaux modèles économiques, le freemium par exemple. Le plus vraisemblable, à court terme au moins, est que l’adoption de service comme Priv.ly, qui suppose à la fois un minimum de compétence technique et de conscience des enjeux, restera le fait des happy few (pas forcément très few mais très minoritaires).
    Autre remarque: à supposer que l’adoption de tels services se généralise, la balkanisation via les utilisateurs, ne toucherait que la partie du web qui est d’ores et déjà en voie de balkanisation via les services.

  4. Merci de cette nouvelle! Nous sommes si nombreux à en avoir ras-le-bol du flicage, du profilage et du marketingage que ce concept est certainement appelé à un bel avenir.
    Pour ma part, quand il sera mis en oeuvre et à ce moment seuulement, j’aurai un compte Facebook et pas seulement Diaspora…

  5. @MRG : se protéger ne suffit pas pour adopter un service effectivement… Il faut aussi du désir et du plaisir (c’est pour cela que Google ou Facebook marchent si bien). De là à parler de « régression économique » du fait de la rupture de la marchandisation de nos données, il y a pourtant un pas que je ne franchirais pas. Le web a montré qu’il n’était qu’une course à de nouveaux modèles économiques (les nouveaux chassant les premiers) : je n’ai pas d’inquiétude à ce que l’industrie du web en trouve d’autres. Il n’est d’ailleurs pas si sûr, comme le disait très bien Daniel Kaplan hier, que la marchandisation des données des utilisateurs par le traitement soit la meilleure issue, mais nous aurons à nouveau l’occasion d’y revenir ;-).

  6. @Hubert: Je ne parlais pas de « régression économique » mais de « régression technologique » (je ne suis pas sûr que l’exploitation des données personnelles soit un progrès économique 😉 ): je veux simplement dire qu’un certain nombre d’innovations technologiques se financent sur la marchandisation des données personnelles (et si j’ai mis « régression » entre guillemets, c’est parce que je ne suis pas sûr, encore une fois, que les dites innovations soient absolument un progrès). Et pour tout dire, une généralisation du modèle freemium me semblerait un vrai progrès. Par ailleurs je te trouve un peu optimiste quant à l’inventivité de l' »industrie du web » en matière de modèles économiques 🙂

  7. Je ne suis pas si sûr que nous soyons « si nombreux à en avoir ras-le-bol du flicage, du profilage et du marketingage » comme le dit Pierre.

    « Privly renverse d’un coup le paradigme de l’internet des applications où l’internaute n’est plus maître de rien. » C’est relatif, l’expérience numérique est aujourd’hui synonyme de transparence des interfaces, de simplicité, de prise en charge. On maîtrise tous (presque) à la perfection Facebook. Et on voudrait ajouter de la complexité, de la ségrégation, là ou justement on a réussit à éloigner la « fracture numérique » dans un univers joyeux où on est des amis d’amis ?

    Je me fais l’avocat du diable, et je pêche sûrement par pessimisme. Mais, je crains que la grande majorité d’entre nous trouve tout à fait son compte dans l’internet actuel, celui de la société de consommation augmentée. Alors cela n’empêche les initiatives personnelles, mais est-ce un système qui a un intérêt sans une adoption massive ?

  8. Alors que Diaspora n’a d’intérêt que par adoption massive, il me semble ici, que le projet pourrait avoir de l’intérêt sans adoption massive, car en fait, il n’empêche aucun échange : puisque celui qui n’est pas sur PrivLy peut tout de même accéder au lien. Le plus intéressant c’est que le système ne confie pas nécessairement nos données à PrivLy, mais montre qu’on pourrait utiliser plusieurs systèmes du même accabit que PrivLy, mis en place par d’autres acteurs – d’ailleurs, le projet est open source -, comme le font aujourd’hui les innombrables concurrents dans le système des ShortLinks. Mais je suis d’accord avec toi Jonathan, d’un coup la perspective de la balkanisation, nous fait regarder les médias sociaux centralisés comme tout à fait confortables… 😉

  9. Bonne idée mais dans l’histoire en fait c’est PrivLy qui récupère nos données 🙂 Ce service ne fait sens donc que si on installe son propre PrivLy soi-même et dans ce cas pourquoi ne pas installer directement sa propre solution de remplacement pour les mails ?

  10. @Jonathan:
    Pour poursuivre ce débat (amical!):

    – Vous avez raison sur un point: tout le monde n’a sans doute pas conscience des enjeux du flicage. Mais je pense que c’est tout le Système – et là on rejoint la politique – qui tend à faire de nous de simples utilisateurs presse-boutons qui se postent le moins de questions possible. Ceci dit, la balle est dans notre camp! Limiter le flicage est à notre portée, encore faut-il que ce soit une véritable volonté politique de notre part. Exemple: je déteste la pub, et je ne reçois virtuellement jamais de pub par Internet ni par courrier. Question d’organisation et surtout de volonté politique personnelle.

    – Par contre, pas franchement d’accord lorsque vous dites que « nous maîtrisons Facebook ». Justement pas! Nous n’avons pas de contrôle sur les choses sérieuses, juste une apparence de contrôle. Je ne pense pas que Facebook soit disposé à nous laisser de son plein gré la maîtrise sur ce qui est son fonds de commerce, à savoir les données des utilisateurs.

    Donc je suis sur Diaspora…

  11. @ParadiseLost En effet, ils le font déjà avec d’autres sites.

    Et ceux qui utilisent des tablettes comment ils font ? On ne sais pas installer d’extension sur un ipad.

    Dimitri

  12. Le problème est à mon sens bcp plus global, donc oui à tout ce qui permet de limiter au choix toute forme d´emprise sur ses propres données personnelles, sur le web ou ailleurs, car l´enjeu démocratique induit est bcp trop crucial pour se limiter à des considérations sur le financement de modèles économiques ou sur des enjeux de facilité de l´expérience utilisateur.

    http://www.boursorama.com/actualites/terrorisme-l-europe-accepte-le-transfert-aux-etats-unis-des-donnees-de-ses-passagers-b681ef417c92327a9905348daee3f738

    ce n´est que mon avis mais je le partage 😉

  13. En gros, au lieu d’avoir nos données personnelles dispersées dans plusieurs site web, grace à Priv.ly on les centralise dans un seul site ?

    Ou j’ai mal compris ? 😉

  14. Je trouve l’idée géniale, et cela mérite en effet d’être développé et modulé à souhait ! 🙂
    Merci !

  15. @Dimitri:
    Merci, Dimitri, d’appuyer là où ça fait mal et d’apporter de l’eau à mon moulin! Le fait de ne pas pouvoir installer d’extension sur un iPad (je vous crois sur parole, car quelles que soient les qualités reconnues des produits Apple, je n’en utilise aucun pour raison de cohérence intellectuelle…) pose justement un vrai problème: ce n’est PAS vous qui êtes le maître de votre appareil!

    La vraie liberté, ce sera quand nous pourrons utiliser Linux + Firefox + Thunderbird, avec les add-ons de notre choix – les anti-pub, par exemple – sur le smartphone qui nous plaît. Nokia semble être assez proche de cet objectif avec son N900.

  16. @Pierre
    En effet, seul Apple est maître de l’appareil. Apple contrôle tout et vérifie chaque application avant la mise en ligne dans l’Apple store. Ce dernier ne peut pas être évité (sauf avec un jailbreak).
    Le concept de priv.ly est très séduisant mais je craints que ce soit difficile à mettre en place.
    Comme je le mentionne, si priv.ly prend trop d’ampleur et que trop d’utilisateurs l’utilise, Facebook et autres, pourront très facilement bloquer ce type d’url et rendre le concept inutilisable.
    Que feront les utilisateurs dans ce cas ?
    Pour que ça marche, il faudrait que tout le monde utilise un tel système mais si tel est le cas, c’est priv.ly qui détiendrait toutes les informations et le problème n’est que déplacé. C’est pire encore puisque c’est centralisé à un seul endroit pour toutes les applications.
    L’idée a le mérite d’exister et d’ouvrir le débat.

    Dimitri

  17. @Dimitri:

    Bien d’accord avec votre réponse pertinente et votre souci que je partage. Deux remarques:
    – Effectivement on déplace le problème d’une centralisation à une autre, avec les mêmes risques. Mais l’une est irréversible pour raison de modèle économique, tandis que l’autre pourra, peut-on espérer, amener à un modèle autonome décentralisé. Et ce sera d’autant plus probable que les esprits libres seront plus nombreux à en avoir assez du flicage et de la marchandisation de leur vie privée.
    – Là encore, le fait que les réseaux centralisés puissent bloquer une URL de leur propre chef est très préoccupant… (Ne serait-ce que pour cette seule raison, je ne suis pas près de remplacer mon compte Diaspora par un compte FB dans la configuration actuelle !)