Que l’avenir nous appartienne !

La lecture de la semaine nous provient une fois n’est pas coutume du New York Post. Ce texte m’intéresse pour plusieurs raisons : d’abord parce qu’il émane de Jaron Lanier (Wikipédia), personnage intéressant, car faisant partie de la cohorte des pionniers de l’internet devenu très critiques vis-à-vis des tendances contemporaines des technologies. Ensuite parce qu’il réactive sous une forme revendicative une problématique que nous avons déjà explorée dans « Place de la toile », mais que je trouve politiquement très fertile : l’idée que tout internaute est un travailleur exploité.

« Hey, les jeunes, commence Jaron Lanier, qu’est-ce qui ne va pas avec vous ? Vous qui êtes si satisfaits de mettre à jour vos statuts, fixés sur l’écran minuscule de votre ordinateur. Levez la tête et regardez un instant l’écran plus large de la vie. Pourquoi est-ce que pendant ce temps-là, votre statut social ne s’améliore pas ? »

Voilà pour l’adresse un peu brutale, vient ensuite le raisonnement. « Pour le dire métaphoriquement, poursuit Lanier, la génération qui nous suit se trouve face à deux portes. Derrière la première, se trouvent la richesse et le succès, mais très peu passeront le seuil. Entrer signifie se tenir tout près d’un de ces gros ordinateurs qui contrôlent tout. Peut-être trouverez-vous un boulot chez Google ou Facebook, ou atterrirez-vous dans une boite à Wall Street qui joue le même jeu : recueillir les informations données par les autres pour calculer le chemin qui mènera à la richesse et au pouvoir.

Lanier par Hawk
Image : Jaron Lanier photographié par Thomas Hawk lors d’une conférence à San Francisco en février 2010.

La seconde porte, c’est le faux espoir, une sorte de casino. Vous mettrez des vidéos en ligne, vous tweeterez, posterez des photos sur Instagram, vous ferez la promotion de vous-mêmes dans l’espoir de faire partie du tout petit nombre de gens qui le font bien. Mais au fond, vous savez qu’à la fin, c’est toujours la banque qui gagne.
Qu’est-ce qui manque à tout ça ? Une troisième porte. Avant, il y a avait un passage qui menait à une classe moyenne fiable et raisonnablement confiante. Le problème avec les réseaux informatiques, c’est qu’ils ont été explicitement créés pour murer cette troisième porte.

Quand la photographie s’est faite sur pellicule, une entreprise comme Kodak a directement employé 140 000 personnes appartenant à la classe moyenne. Ces gens se sont fait de l’argent avec les produits qu’ils créaient. A l’âge de l’internet, une entreprise comme Instagram peut n’employer que 13 personnes. Ces gens se font de l’argent avec des contenus que d’autres – c’est-à-dire vous – créent. Instagram a dernièrement été vendu pour 1 milliard de dollars, mais seul un tout petit groupe de gens est devenu riche, avec le travail que nous avons fourni.
Ca n’aurait pas dû se passer comme ça.

L’idée originelle du partage numérique, qui remonte aux travaux de Ted Nelson au début des années 60, s’appelait « l’hypertexte ». Nelson savait que la numérisation pouvait ébranler la propriété des contenus ; son plan originel était que chacun reçoive un micropaiement pour toute chose de valeur qu’il mettait en ligne. Il reste le souvenir de l’hypertexte dans le « HT » de « HTML ». Mais les micropaiements sont, pour la plus grande partie, oubliés. Twitter, Facebook, Instagram, Google, nous leur donnons notre esprit, ils en tirent profit.

Un jour, une nouvelle génération d’Américains, soit vous soit vos enfants, devra trouver un moyen de se faire payer pour ce qu’ils mettent dans Facebook, Instagram, Twitter et le reste.

L’idée semble peut-être étrange, tant nous sommes habitués à donner gratuitement. Mais c’est l’acte de foi dont les marchés ont toujours eu besoin. Quand les gens commencent à échanger en masse, le marché grossit, tout le monde va mieux et une classe moyenne émerge.

Vous devriez être indignés par la disparition de la troisième porte. Ne vivez pas dans le présent éternel de Facebook. Apprenez l’histoire du monde réel et soyez conscients de ce que vous avez perdu ! »
Voici pour cet appel au soulèvement de Jaron Lanier, soulèvement dont vous aurez compris qu’il est tout sauf révolutionnaire. Il s’agit, en dernier recours, de ne pas rester sur le bord de la route du capitalisme contemporain.

Xavier de la Porte

Xavier de la Porte (@xporte), producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.

L’émission du 18 mai 2013 avait pour thème « les ordinateurs et l’informatique au cinéma » Les ordinateurs et l’informatique au cinéma en compagnie d’Alexis Blanchet (@AlexisBlanchet, maître de conférences en audiovisuel et cinéma à l’université de Paris III (qui était venu il y a quelques mois parler de son livre sur les jeux vidéo au cinéma) et qui anime le blog JeuVidéal, d’Emmanuel Burdeau, critique de cinéma sur Mediapart, ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma et cofondateur des éditions Capricci, ainsi que de Jean-Noël Lafargue (@Jean_no), maître de conférences associé à Paris 8 et professeur aux Beaux-arts du Havre, auteur d’un livre sur les représentations de la fin du monde et qui sur son blog, recense notamment les films qui montrent des ordinateurs.

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0 commentaires

  1. Un micro paiement pour tous, moui, je pense plutôt que ça ne contentera personne (la maintenance des serveurs demande un fric monstre + les utilisateurs ne cherchent pas rétribution de leur bouffe instagrammé).

  2. Bonjour,

    Je dois dire que je n’ai pas trouvé ce texte très clair.

    1. J’ai bien compris la première porte et la troisième mais pas la seconde.
    Je m’explique : les portes 1 et 3 correspondent à des développeurs, soit assez géniaux/originaux pour créer, plus ou moins directement, un truc qui a beaucoup de succès (porte 1), soit ce sont (c’étaient, puisque c’est muré) des développeurs « moyens » qui ont paticipé à des grosses entreprises.
    La seconde porte, ce sont des gens qui fournissent gratuitement des contenus (vidéos) et qui espèrent qqch mais je n’ai pas compris quoi ….
    (« vous ferez la promotion de vous-mêmes dans l’espoir de faire partie du tout petit nombre de gens qui le font bien »).

    2. « son plan originel était que chacun reçoive un micropaiement » : j’ai l’impression qu’il manque ici des étapes de raisonnement. Qui est ce Ted Nelson ? Son « plan » ressemble à une idéologie de gauche (partage des revenus) mais ne se voit pas très souvent dans l’économie de marché.

    3. Quel est le rapport entre ces micro-paiements, qui auraient du sens, d’ailleurs, je suis d’accord, avec cette troisième porte, murée ?

    4. Que propose Jaron Lanier comme solution/alternative ?

    Merci de m’éclairer sur ces points !

  3. Je ne suis pas sure d’avoir compris également.
    D’accord pour le paiement, mais n’oublions-t-on pas qu’héberger ce qu’on partage a un coût ? Il faudrait alors que nous payons tous un espace de stockage, proportionnel à ce que l’on partage, où alors qu’une taxe soit prélevée sur chaque chose partagée, pour rendre l’ensemble réellement équitable.
    Quant à la rémunération de nos contenus, quels effets pourrait-elle provoquer ? N’y aurait-il pas tentation de partager ce qui serait le plus « rentable », nous amenerait le plus de clics – nous devriendrons des sortes d’annonceurs -, et donc tous partager la même chose, ce qui « fait le buzz » ?

    Peut-être que je me trompe complètement et que je n’ai pas bien compris les enjeux, j’attends vos réponses.