« Jules Ferry 3.0 » : récit d’une convergence

Le Conseil National du Numérique vient de publier son rapport sur l’éducation, intitulé “Jules Ferry 3.0, bâtir une école créative et juste dans un monde numérique.”

Je faisais partie de ce groupe piloté par Sophie Pène. Il s’y est passé quelque chose que je vois assez rarement arriver dans les débats sur l’éducation : entrés dans ce travail collectif avec des positions parfois très divergentes, nous en sommes sortis avec des convictions communes. Les ateliers que nous avons organisés avec toutes sortes d’acteurs de la communauté éducative, ainsi que la multitude des entretiens, visites, lectures, échanges en ligne qui ont nourri nos séances, ont construit cette convergence.

Cela mérite en soi d’être mentionné, tant on finit par s’habituer, sur le sujet de l’éducation, à voir des gens cultivés et intelligents mobiliser tout leur talent à traiter leurs contradicteurs en mauvais élèves qui n’auraient pas fait leurs devoirs.

Couverture du rapport

Sur un point en particulier, ma position a évolué. Je souhaiterais expliquer comment, pour aider ceux que cela intéresse à comprendre ce travail collectif.

Tout le monde veut tout changer

Comme beaucoup d’acteurs du « numérique éducatif », y compris ceux qui ne se retrouvent pas dans nos propositions, je considère que « le numérique doit être l’affaire de toutes les disciplines » et participer au « décloisonnement disciplinaire« . Je crois d’ailleurs que chacun des auteurs du rapport pourrait signer cette phrase. Nous n’ignorons pas non plus que des milliers d’enseignants, des dizaines d’établissements, de nombreux cadres des rectorats ou de l’administration centrale, etc., y travaillent. Au contraire, nous en avons rencontré beaucoup et ils nous inspirent encore. Nous demandons explicitement qu’on reconnaisse, valorise et utilise leur travail à sa juste valeur.

Mais force est de constater que tous ces efforts, ainsi qu’une multitude de « plans numériques » nationaux et territoriaux, n’ont pas produit d’effets significatifs à l’échelle de notre système éducatif. Certes, les choses bougent, mais trop lentement. Les innovateurs innovent, mais chacun connaît l’isolement dans lequel ils le font, qui les épuise les uns après les autres. Personne n’est coupable, mais il faut changer d’approche.

Je crois désormais à la nécessité de proposer des “points d’application” précis pour faire levier, pour engager une vraie dynamique de changement à l’échelle, non plus d’expériences individuelles (aussi excellentes soient-elles), mais de l’ensemble du système.

Il faut commencer quelque part

L’enseignement de l’informatique est l’un de ces points d’application. Au démarrage de notre travail, j’étais plutôt opposé à l’idée d’en recommander l’introduction systématique et volontariste. Certes, je crois profondément que l‘“honnête homme” (ou femme) de demain devra comprendre comment fonctionnent les machines qui produiront la majorité de nos informations, de nos connaissances et de nos décisions. Je crois aussi que cette compréhension doit être pratique, ce qui signifie qu’elle passe par une forme ou une autre de programmation. Je crois enfin, comme Serge Pouts-Lajus, que “la programmation d’un automate est, à tout âge, une expérience d’apprentissage d’une très grande richesse” – au point qu’elle constitue pour beaucoup d’élèves (ou ex-élèves) un moyen de « raccrocher », de retrouver le plaisir et la fierté d’apprendre.

Fallait-il pour autant souhaiter que tous les enfants apprennent des éléments d’informatique ? J’en doutais pour deux raisons. D’une part, je considère qu’au cœur de la transformation numérique, il y a tout autant la “science informatique” qu’un ensemble de pratiques sociales, de travail et d’expression, toutes aussi importantes à maîtriser : je ne voulais donc pas que l’Education Nationale privilégie la première dimension, plus facile à cerner, pour éviter de faire face à l’autre, plus diffuse. D’autre part, j’estimais que les disciplines étouffent suffisamment notre système pour ne pas vouloir en ajouter une.

Mais alors, que faire ? La réponse “utilisons le numérique pour changer de l’intérieur toutes les disciplines et brouiller leurs frontières” est évidemment excellente, mais elle présente plusieurs faiblesses [1]. Lorsqu’elle se traduit par l’usage de logiciels disciplinaires tout faits ou de ressources numériques, même de qualité, elle ne change au fond pas grand-chose à l’expérience d’apprentissage et n’apporte aucune compréhension de cette “mécanique cognitive” qu’est l’informatique. Surtout, elle peut servir de paravent à l’immobilisme de l’institution : car c’est en effet ce que l’on fait (ou prétend faire ?) depuis 20 ans. On a bel et bien fait entrer un peu de numérique dans toutes les disciplines, les inspecteurs pédagogiques régionaux et les Délégués académiques au numérique (DAN) sont mobilisés depuis longtemps là-dessus. On a laissé se développer une multitude d‘“expériences” formidables (mais sans reconnaissance, sans lendemain ou en tout cas, sans modalité en permettant l’extension, la reproduction, etc.) Des appels à projets ont financé toutes sortes de produits numériques éducatifs. A-t-on pour autant le sentiment d’en être arrivés beaucoup plus loin aujourd’hui qu’il y a 20 ans ? Dans l’immense majorité des établissements et des classes, la réponse est non. À nouveau, les personnes ne sont pas en cause : l’effort est tout simplement trop diffus pour une organisation de cette taille et de cette complexité.

Le cheval de Troie

D’où l’idée autour de laquelle nous avons convergé, entre ceux qui, dès le départ, militaient en faveur de l’enseignement de l’informatique et ceux qui n’y croyaient pas : faire de cet enseignement le “cheval de Troie” par lequel élèves et enseignants explorent de nouvelles formes de travail et d’apprentissage. Nous considérons en effet qu’il serait absurde et même néfaste d’enseigner l’informatique au tableau noir (voire au tableau blanc interactif), que son enseignement passe nécessairement par une organisation en projets et par un travail collectif. Et où trouver des “projets” qui ont du sens ? Dans les autres disciplines ! Voici notre angle, et je le crois nouveau : faire de l’enseignement de l’informatique le levier d’un changement qui le dépasse et qui introduit avec lui, par la pratique autant que la théorie, une “littératie numérique” que nous plaçons au même niveau d’importance.

Ça sera difficile ? Oui. Tous les partisans de l’enseignement de l’informatique à l’Ecole ne pensent pas que le “mode projets” et le travail collectif sont la condition de son introduction ? Sans doute pas, mais ceux d’entre eux qui participaient à notre groupe ont fait ce chemin. On risque à chaque pas de conserver le contenu disciplinaire et d’oublier les nouvelles formes de travail ? Certainement, d’où la nécessité d’un pilotage énergique et vigilant – et tout simplement d’oser, parce que le résultat parlera de lui-même.

Hacker School

Bac et Capes, les gros mots ?

Le bac “Humanités numériques” dont nous proposons la création constitue un autre levier d’application. Il ne faudrait pas pousser beaucoup pour me faire dire que le bac lui-même est un problème ; et pourtant, si l’on veut que quelque chose change vite, ce nouveau bac est une proposition futée et féconde – l’idée originelle ne vient pas de moi : montrons qu’on peut imaginer un bac de notre époque, mariant science, technologie et humanités, un bac tellement désirable que les autres filières du lycée finiront naturellement par converger vers son modèle (au point de le rendre obsolète ? Chiche !)

Et puis, évidemment, il y a la proposition du Capes d’informatique (1/2 page du rapport). Là encore, j’y ai résisté longtemps et l’on notera que le rapport propose bien d’autres manières de trouver les enseignants d’informatique qui deviendront nécessaires, si l’on décide d’enseigner cette connaissance et cette compétence. Mais soyons logiques : soit le Capes est une mauvaise manière de recruter tous les profs (ça se discute, sûrement !) et il faut le supprimer, soit c’est la manière standard et reconnue et l’on se demande bien pourquoi seuls les profs d’informatique y échapperaient ?

Impairs et manques

Il manque beaucoup de choses à notre rapport. Plusieurs absences nous ont été signalées à juste titre : une réflexion plus approfondie sur les filières professionnelles, des développements sur les espaces et les architectures… La liste n’est pas close. Les commentaires en ligne l’enrichiront sans aucun doute.

Il y a aussi, dans ce rapport, beaucoup d’autres choses dont la Toile s’est moins emparé : sur la transformation du contenu même des disciplines (en lien avec la recherche), sur l’école ouverte, sur la puissance du secteur de l' »EdTech »…

Nous avons parfois fait le choix délibéré de ne pas descendre trop profondément dans le détail, par exemple à propos du contenu du Bac HN : définir le programme d’une filière de lycée mobilise des compétences dont nous ne disposons pas.

Nous serons suivis ou ne le serons pas ; on pourra certainement nous démontrer que nous avons tort sur plusieurs points. Ma conviction est néanmoins que ce rapport apportera au moins deux contributions durables à l’évolution de notre Ecole : d’une part, une réflexion sur les points d’application et la recherche d’actions précises à effet de levier maximal ; et d’autre part, la démonstration que, même à propos d’éducation, il est possible de se changer les uns les autres et de tomber d’accord. Si, si, je vous assure !

Daniel Kaplan

[1] La question de savoir si la « transformation numérique » passe par un effort diffus ou, au contraire, concentré et spécialisé, se pose ou s’est posée dans de très nombreuses organisations. A chaque nouveau gouvernement, par exemple, on débat de l’intérêt d’avoir un « ministre du numérique » (au risque de trop spécialiser le sujet) ou au contraire de mettre du numérique partout (au risque qu’il ne se passe rien). Depuis 2007, cependant, la France a fait le choix de se doter d’un(e) ministre ou d’un(e) secrétaire d’Etat au numérique, et ne s’en porte pas mal.

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  1. On a un peu le sentiment à vous lire que le consensus dont vous parlez s’est fait à partir de beaucoup de renoncements à vos idées premiéres, que pour ma part je partage … je doute beaucoup par exemple du fait que l’enseignement de l’informatique soit de nature à faire bouger le modéle pédagogique dominant, et il est fort à parier que cette nouvelle discipline sera enseignée comme toutes les autres. Celà peut paraitre paradoxal (encore que…), mais les informaticiens sont parfois plus fermés encore aux changements que leurs collègues d’autres disciplines. L’enseignement de l’informatique peut servir de refouloir ou de bonne conscience pour éviter d’aborder les vraies problématiques liés à l’irruption du numérique dans nos vies de citoyen, de consommateur, de travailleur, d’apprenant et, in fine, les changement paradigmatiques nécessaires en education.

  2. Merci pour cet article sincère.

    De manière générale, je pense que l’on attend trop d’un enseignement précoce de l’informatique. Le seul intérêt majeur, c’est de donner envie aux élèves de s’y intéresser, un peu avant les premiers choix d’orientations (4ème ou 3ème).

    Dernièrement on lit beaucoup que c’est la seule manière de préparer le « citoyen de demain » qui devra être maître de ses outils (cf. les billets de la SIF). Mais cela suppose que :
    – sans enseignement, un élève ne comprendrait pas cette “mécanique cognitive” qu’est l’informatique. Au 21ème siècle, j’ai comme un doute, y compris pour un élève qui n’est pas équipé d’un ordinateur à la maison. Mais j’aimerais bien en savoir plus sur ce que recouvre votre expression « mécanique cognitive » ;
    – qu’un élève qui apprend quelques rudiments d’informatique en primaire a un avantage significatif sur ceux qui commencent à la fin du lycée. Ça ne se vérifie pas en école d’ingénieurs ;
    – qu’entre 1 et 3 heures de cours par semaine sont suffisantes pour maîtriser des outils qui sont d’une grande complexité.

    Sur ce dernier aspect, je ne crois pas que savoir implémenter des opérations sur des listes chaînées aide beaucoup à comprendre le monde du numérique, ni de savoir comment coder une instruction « movb » en binaire sur des microprocesseurs 68000. Et pourtant c’est ce type d’enseignement que l’on dispense au lycée et en début de prépa, et il est probable qu’une généralisation de l’enseignement de l’informatique s’oriente vers la même direction, par facilité.
    Ça part d’une bonne volonté : les professionnels qui construisent ce type d’enseignement veulent transmettre des bases solides aux élèves. Ils ont l’impression que les bases théoriques, mises bout à bout, offrent une bonne grille de lecture du monde numérique. Il faut prendre un peu de recul pour s’apercevoir que le « citoyen de demain » aura surtout un avantage à comprendre les mécaniques du web, et peut-être parfois à automatiser des calculs si c’est un futur scientifique ou un futur ingénieur. Le reste on peut le garder pour le post-bac.
    À partir de là, pourquoi ne pas s’amuser en TP avec des clients et un serveur web installés sur des machines différentes ? Ou récupérer automatiquement des informations depuis un fichier texte (pas très sexy, mais super utile) ?
    Je ne sais pas ce que dit le rapport sur les choix technologiques, mais l’EN aurait intérêt à imposer aux professeurs un ensemble figé de technologies, pour pouvoir mutualiser les ressources d’apprentissage et ne pas perdre les élèves quand ils passent d’une classe à une autre.

  3. Ce que certains appellent de la sincérité, je l’appelle pour ma part cynisme.

    Il s’agit ici, sur l’avis d’un groupe de travail n’ayant aucune compétence sur l’école et ne comprenant aucun enseignant ni du primaire ni du secondaire (mais en revanche des représentants de groupes technologiques) de révolutionner l’école à l’insu des enseignants (le « cheval de Troie » est effectivement une image parlante). Voici, s’il en est besoin, la démonstration édifiante que les « nouvelles » technologies servent de bouée de secours aux « nouvelles » pédagogies à bout de souffle et qui ont fait tant de bien à l’école depuis plusieurs décennies, tandis que ces pédagogies servent elles-mêmes de portes d’entrée aux commerciaux et aux industriels qui se pressent sur son seuil. L’école n’est plus un enjeu pour la République mais devient un gigantesque marché captif et lucratif où la transmission n’a au fond plus lieu d’être. C’est « Jules Ferry 3.0 » (où est le 2.0 ?) où il fait moins entendre le trois que le zéro.

    Pour une réflexion plus approfondie sur les enjeux de l’enseignement du code à l’école :

    http://www.laviemoderne.net/grandes-autopsies/88-in-coda-venenum

  4. @Loys Bonod

    J’ai lu en diagonale le début de l’article dont vous avez donnez le lien. J’ai remarqué moi aussi cette campagne médiatique pour promouvoir l’apprentissage du code à l’école. Je suis informaticien et je ne suis pas fondamentalement contre, mais je trouve que les motivations invoquées pour un tel apprentissage sont peu argumentées, surtout en ce qui concerne son introduction dès la primaire. Où sont les études scientifiques qui montrent des effets positifs dans les classes où l’enseignement de l’informatique a été expérimenté ?
    Cependant il faut reconnaître à cet article d’être plus mesuré que ce qu’on lit d’habitude sur ce sujet.
    À titre de comparaison, faites un tour sur ce blog du Monde.fr : http://binaire.blog.lemonde.fr/2014/10/03/jules-ferry-3-0/

  5. @Frédéric et Hadrien : vous avez raison de pointer le risque. L’enseignement de l’informatique n’est pas mécaniquement plus participatif, impliquant et collectif que celui de toute autre matière ; cependant, il s’y prête particulièrement bien, si tant est qu’on le décide. C’est pourquoi nous ne proposons pas d’enseigner l’informatique, point : mais bien de profiter de l’introduction de cette discipline pour introduire, avec elle, d’autres méthodes.

    On peut tout à fait douter que ce soit possible. Nous constatons pour notre part que l’autre chemin (essayer de changer les discplines de l’intérieur) ne fonctionne pas. Donc nous en proposons un autre. Y a-t-il des risques, des inconnues sur ce chemin ? Plein. Mérite-t-il d’être exploré vite et fort ? Nous en sommes convaincus.

    Ensuite, on doit en effet discuter de ce qu’on entend par « informatique ». Il ne s’agit pas de former des informaticiens, évidemment. Est-ce que la programmation d’un automate, d’un serveur web, d’applications simples et utiles (l’extraction de texte), voire d’un site web avec feuilles de style, en fait partie ? Pour moi, oui. Hadrien m’interroge à juste titre sur l’expression (fragile) de « mécanique cognitive » : je fais référence ici à cette combinaison étrange que je ne trouve qu’en informatique, entre une pensée algorithmique assez déterministe, et un outillage dont l’une des fonctions est de raccourcir le chemin entre l’idée, son expression, sa mise en oeuvre, sa circulation. L’un comme l’autre transforment la pensée, me semble-t-il, et c’est pourquoi nos enfants méritent de l’apprendre.

  6. @Loys Bonod C’est bien aimable à vous de venir illustrer mon §3. Ah, cette délicieuse habitude de noter son contradicteur (sans oublier de lui prêter aussi les plus noirs desseins)…

  7. Pas besoin de « noirs desseins » : les meilleures intentions du monde peuvent parfois suffire, malheureusement…

  8. Je me réjouis peronnellement que Daniel Kaplan se rallie à la complémentarité des approches prônée par l’association EPI depuis des décennies. Elle était en germe dans les conclusions du séminaire de Sèvres (1970) et avait connu un début de développement dans les années 1980-90 avec l’option informatique des lycées supprimée par deux fois en 1992 et 1998. J’affirme pour les avoir pratiquées que l’utilisation de l’informatique dans les différentes disciplines et l’enseignement de l’informatique sont deux approches non exclusives mais complémentaires. Nombre de témoignages sont en ligne sur le sire EPI (www.epi.asso.fr) Jacques Baudé

  9. Quitte à faire de l’histoire et pour mieux comprendre ce qui est en jeu aujourd’hui, il me semble qu’il serait éclairant de remonter au début des années 80 et à ce qui s’est passé autour de Logo, le langage de programmation inventé par Seymour Papert. A cette époque dans les écoles, le plus souvent les écoles primaires, il s’est passé autour de Logo toutes sortes de choses passionnantes, surtout aux Etats-Unis mais aussi en France. Elles se sont ensuite interrompues, à mon sens pour deux raisons. D’une part, dès la fin des années 80, une informatique personnelle de type professionnel dominée par IBM s’est imposée dans le monde de l’éducation comme ailleurs, condamnant définitivement les ordinateurs et les langages dédiés à la pédagogie. D’autre part, Papert et ses partisans ont versé dans une sorte de surenchère délirante, faisant de Logo et de la programmation une sorte de pierre philosophale de l’éducation. Monique Linard a bien analysé cette dérive dans « Des machines et des hommes ».
    Classique retour du refoulé.

    Cette histoire revient aujourd’hui nous hanter comme un remords. Pourquoi l’avons-nous abandonné alors que l’intuition de Papert à propos de l’ordinateur comme machine à apprendre était évidemment juste… Tout comme l’était celle de Freinet. Les deux se ressemblent d’ailleurs beaucoup.

  10. Cette référence à Papert est amusante car elle illustre aussi les risques de l’introduction d’une technologie sans formation : j’ai connu un enseignant qui demandait à ses élèves d’écrire les instructions sur papier, qui les corrigeait puis, lorsqu’elles étaient justes, autorisait l’èlève de les saisir sur l’ordinateur. Un peu comme une récompense Skynnerienne !

    J’en profite pour saluer Serge, que je n’ai pas vu depuis trés longtemps !

  11. @Serge
    Oui Freinet voilà un révolutionnaire et même sans formation au code, on peut être sûr que des générations formées avec ces méthodes seraient plus coopératives, plus promptes à faire (qu’à gloser), plus proches de l’esprit d’expérimentation et plus aptes à publier. Finalement avec tout ça nous aurions certainement plus d’attraction pour les métiers de l’informatique( et sans en avoir fait une once) et pour les entrepreneurs d’une part et plus de capacités d’interventions dans un tel débat supposé technique d’autre part : c’est bien cela dont nous avons besoin, non? Sans ces méthodes, l’enseignement du code sera sans doute un Cheval de Troie certes mais celui d’une nouvelle corporation omniprésente.

  12. Nous sommes bien conscients du risque élevé d’un corporatisme disciplinaire de plus. Avec un CAPES et une agrèg d’informatique, le risque est maximal, c’est certain… Pour l’équilibrer, il faudrait imaginer une autre solution, à une autre extrémité. Et explorer des positions intermédiaires raisonnables, entre les deux.

    Et pour cette extrémisme, pourquoi pas Jacotot et son maitre ignorant ? Tous ces professeurs qui n’y connaissent rien ou pas grand-chose au numérique, quels bons maitres d’informatique ils feraient ! Le B2I avait suivi cette voie d’un enseignement, ou plutôt d’un apprentissage encadré, assuré par plusieurs demi-savants. C’est vrai que le résultat n’a jamais été convaincant mais ce n’est pas pour cette raison. Car la promesse était belle : un enseignement assuré par un collectif, la validation de ses compétences par l’élève. On pourrait revisiter ces idées sans les jeter à nouveau dans les mêmes travers, c’est-à-dire en faisant confiance aux équipes locales pour fixer le cap et tenter.

    J’avais écrit à cette occasion un petit texte (Jacotot et le B2I) qui est encore en ligne :
    http://www2.cndp.fr/lesScripts/bandeau/bandeau.asp?bas=http://www2.cndp.fr/DOSSIERSIE/55/som55.asp

  13. Bonjour,

    Après un passage dans le monde informatique pendant une quinzaine d’année comme ingénieur, je suis revenu au monde de l’enseignement en tant que prof de maths, ma formation initiale.

    Lors de ce retour, j’ai pu constater que, du collège à la fac, le niveau a, à mon sens, baissé. Ceci dit, ce n’est pas évident à juger car les programmes ont évolué. Je ne me rends pas encore compte si c’est en mieux ou en moins bien.

    A mon époque, il y avait 9h maths/semaine en Term C, 11h en Term E. Aujourd’hui, il en reste 6h en Term S, voir 8h avec l’option spé. On ne fait évidemment pas la même chose.

    Par contre, ce que je constate régulièrement, ce sont des élèves de 5e, 4e qui ne savent pas compter. Faire une multiplication, une division peut relever du défi. Ecrire des phrases simples, puis les articuler pour produire un raisonnement relève de la mission impossible. Régulièrement, je vois des fautes, non pas d’orthographe, ça encore je tolère, il m’arrive d’en faire, mais de sens : confusion entre « et » et « est », « sa » et « ça », « c’est », « ces » et « ses »… oui, ça c’est le quotidien de nombreux enseignants.

    Je ne suis pas contre apprendre l’informatique à l’école. La programmation peut être très formatrice en terme de logique. Mais avant, il faut savoir compter, écrire… Comment rédiger un cahier des charges, un compte-rendu,… quand on peine à écrire des phrases qui ont du sens…

    Personnellement, j’ai débuté la programmation dans un club informatique, le mercredi après-midi, sur mon temps perso. C’était mon prof de sport qui nous formait. Je faisais du logo sur TO7, du basic sur Apple IIe… mais c’était en plus. La priorité restait les bases : écrire, compter.

    A quoi va servir des cours de programmation à un élève de collège qui s’orientera vers un métier « manuel » (patissier, coiffeur,…). Déjà, les maths, il n’en voit pas l’intérêt, et je les comprends…

    Dans une classe de 25 élèves, combien penser vous qui deviendront ingénieur en informatique (ou autre)? Ne rêvez pas ! Pas plus de 5, 8 en comptant très large et dans les meilleurs classes.

    Finalement, qu’est-ce qu’il sera le plus utile à tous : programmer en ADA 2005 ? Savoir rédiger un courrier ? Savoir compter ?

    Avant de monter sur un vélo, on apprends à marcher, et avant de marcher, on apprends le « quatre-pattes »,…

    Arrêtons de vouloir mettre la charrue avant les boeufs… et revenons aux fondamentaux.

    Ca peut faire « ringard » mais les faits sont là… quoiqu’on en dise