Géo-ingénierie : expérimenter ou pas ?

Plusieurs années après le rapport de la Royal Society, ce sont maintenant les Américains qui s’y mettent : la National Academy of Sciences a sorti son propre document sur la modification du climat, ce qui n’a pas manqué de susciter divers articles dans la presse spécialisée. Ainsi le New Scientist nous prévient que « la modification du climat serait irrationnelle et irresponsable« , tandis que la Technology Review du MIT nous informe que « l’étude de la National Academy of Science préconise l’usage de la géo-ingénierie sur une petite échelle« . Enfin, Ars Technica explique que le rapport nous suggère d’y « réfléchir avec prudence« .

Comme les auteurs du document de la Royal Society, les chercheurs sont tout sauf enthousiastes quand il s’agit d’utiliser les méthodes les plus radicales de modification climatique, celles qui impliquent de réduire l’accès de la lumière solaire à la planète, ce qu’on appelle la « modification de l’albédo « . Mais également comme leurs partenaires britanniques, ils reconnaissent que ce recours peut s’avérer inévitable. Du reste, ils sont dans ce domaine beaucoup plus précis que les auteurs du rapport anglais, et ce n’est pas étonnant. En quelques années, les études sur le sujet se sont multipliées.

Le rapport américain est aussi plus sélectif sur les projets analysés : il passe très rapidement sans s’y arrêter sur les méthodes les plus farfelues (peindre tous les toits en blanc) ou les plus chères et les plus futuristes (emplir l’orbite terrestre d’un anneau de particules réfléchissantes ) pour se concentrer sur les plus réalistes et les moins onéreuses du catalogue : celles qui impliquent l’usage d’aérosols stratosphériques ou la création de couches de nuages à partir de gouttelettes issues des océans (pour une description plus précise de ces techniques, se reporter à notre dossier sur la question).

Les recommandations ne sont pas surprenantes : on préconise de se concentrer sur la réduction des émissions de CO2 et de préférer la géo-ingénierie « douce » qui consiste à essayer de recapturer ce dernier. Quant à la modification de l’albédo, il n’est pas question la déployer cette solution pour l’instant, même si les auteurs conseillent de développer un programme de recherches.
« Le Comité estime qu’il est irrationnel et irresponsable de mettre en œuvre une modification soutenue de l’albédo sans poursuivre également l’atténuation des émissions, la capture du dioxyde de carbone, ou les deux« . Notez la seconde partie de la phrase. Autrement dit, pas d’interdiction totale et définitive sur les techniques de manipulation du climat…

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Les difficultés de l’expérimentation

Mais comment étudier et expérimenter sur des phénomènes aussi globaux et aux conséquences aussi dramatiques ?

Tout d’abord, même les travaux les plus inoffensifs peuvent susciter des réactions très hostiles de l’opinion, parce qu’ils pourraient, éventuellement mener à de vraies opérations de géo-ingénierie, ainsi que Hugh Hunt et l’équipe britannique de SPICE (qui étudie la possibilité de projeter des particules dans l’atmosphère) ont pu le découvrir en 2010. Il était difficile d’imaginer une expérience moins dangereuse : un ballon flottant à un kilomètre au-dessus de Norfolk devait projeter 150 litres d’eau grâce à tuyau d’arrosage. Pourtant, malgré son côté inoffensif, plus de 50 organisations avaient signé une pétition s’opposant à cette expérimentation, précisément pour les conséquences qu’elle pourrait entraîner, avec pour conséquence l’annulation du projet. (Mais, ainsi que le souligne le rapport de l’académie américaine, une autre raison impliquant un conflit d’intérêts a joué un rôle dans l’affaire : l’un des membres du groupe de chercheurs avait déposé un brevet concernant la distribution de l’eau…).

D’autres scientifiques ont fait des propositions d’expérimentation qui n’ont pas abouti, du moins pas encore. En 2012, James Anderson et David Keith, de l’université de Harvard, proposaient d’étudier l’effet de la projection de toutes petites quantités de particules de soufre dans la stratosphère à l’aide d’un ballon lancé depuis le centre de la NASA dans le Nouveau-Mexique. Le but : étudier les conséquences de cette action, notamment sur la couche d’ozone qui peut être endommagée par une telle opération de grande ampleur. L’expérience n’a pas eu lieu, mais cela n’a pas empêché David Keith et James Anderson, en compagnie de quelques collègues, de proposer une nouvelle version de l’expérience en novembre 2014, un système nommé Scopex impliquant, là encore, un ballon et un système d’analyse.

Là encore, l’expérience pourrait difficilement être qualifiée de dangereuse. Comme nous le rappelle Motherboard : « Moins de 1 kg d’acide sulfurique est nécessaire par vol, une quantité inférieure à la quantité de soufre libéré par un avion de ligne en 1 minute de vol« .

Un scénario « modeste »

L’autre grande angoisse suscitée par la géo-ingénierie est son caractère définitif. Que se passe-t-il si l’on découvre qu’on a fait fausse route ? Peut-on revenir en arrière ?

L’un des grands problèmes de cette technologie est, qu’en réalité, elle ne supprime pas le CO2 de l’atmosphère, elle en masque juste les conséquences. Autrement dit, un arrêt de la modification du rayonnement solaire relancerait à nouveau le réchauffement, et à vitesse grand V. Avec pour risque, comme nous le soulignions déjà dans notre dossier, de devoir maintenir activement le processus de géo-ingénierie pendant des siècles, voire des millénaires. Bien plus que la durée de vie moyenne d’une civilisation telle que l’histoire nous l’a montrée.

Ars Technica nous présente un scénario (avec encore David Keith parmi les auteurs) qui pourrait permettre d’éviter des risques aussi extrêmes (l’article original de Nature est lisible en ligne, mais uniquement si vous cliquez sur le lien au bas de celui d’Ars Technica – il s’agit d’une nouvelle politique de la revue Nature, qui offre une lecture en ligne via un logiciel spécifique, pour les lecteurs de certains médias privilégiés).

L’idée est de commencer en 2020 à utiliser une technique de modification de l’albédo pour effacer environ la moitié du réchauffement tandis qu’on met en place – sérieusement cette fois-ci – de véritables processus pour combattre l’émission de gaz à effet de serre. La température n’en serait pas affectée. Mais la vitesse du réchauffement se trouverait ralentie. Or précise Ars Technica, c’est bien souvent cette vitesse, cette accélération, qui est la cause de bon nombre de désordres naturels. Le but resterait néanmoins de stabiliser nos émissions de gaz carbonique. Une fois cet objectif atteint, on pourrait alors arrêter le processus de géo-ingénierie.

En cas d’un commencement de l’opération en 2020, les besoins en géo-ingénierie atteindraient un pic vers 2060 et descendraient petit à petit au cours du siècle suivant. De surcroît, continue Ars Technica, une telle opération pourrait être relativement bien suivie par des outils de mesure et modifiée ou supprimée en cas de conséquences inattendues et malencontreuses.

Mais, souligne enfin le magazine, cette utilisation signe en tout cas l’abandon d’une idée souvent mise en avant lorsqu’on parle de géo-ingénierie : celle d’un plan B, à utiliser en cas d’urgence lorsque toutes les autres solutions ont échoué. Au contraire, une telle approche, soigneusement limitée et planifiée, indissolublement associée à un processus de réduction des émissions, demande au contraire un peu d’avance et une certaine liberté de mouvement. Quels que soient les choix et les résultats des recherches et des expériences, on n’échappera pas à la nécessité de réduire rapidement notre production de gaz à effet de serre !

Rémi Sussan

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0 commentaires

  1. Que dites vous ? cela fait plus de 30 ans qu’ils font de la géo ingenierie et modifient le climat.

    Les brevets ont été déposés sur les sites gouvernementaux officiels, et l’épandage se fait sous nos yeux dans le ciel

    Cf les liens vers les brevets ci dessous :
    http://patft.uspto.gov/netacgi/nph-Parser?Sect1=PTO1&Sect2=HITOFF&d=PALL&p=1&u=%2Fnetahtml%2FPTO%2Fsrchnum.htm&r=1&f=G&l=50&s1=4362271.PN.&OS=PN/4362271&RS=PN/4362271

    Le peuple est déjà au courant et demande l’arrêt de ces épandages massifs : http://www.mesopinions.com/petition/politique/demandons-arret-epandages-aeriens-massifs-clandestins/13774

    http://patft.uspto.gov/netacgi/nph-Parser?Sect1=PTO1&Sect2=HITOFF&d=PALL&p=1&u=/netahtml/PTO/srchnum.htm&r=1&f=G&l=50&s1=4,686,605.PN.&OS=PN/4,686,605&RS=PN/4,686,605