La géo-ingénierie à petite échelle

Alors que la lutte contre le réchauffement climatique semble de plus en plus difficile, on parle de plus en plus du « plan B », celui de la géo-ingénierie. Toujours avec les mêmes craintes et avec la même ambiguïté. Car les partisans de la géo-ingénierie semblent appartenir à des camps opposés : d’un côté ceux, qui effrayés par les perspectives du réchauffement, insistent pour appliquer des technologies nous permettant de gagner du temps, en plus (et non à la place) des processus actuels de limitation des gaz à effets de serre. Et de l’autre, ceux qui, à l’instar de l’administration Trump (qui s’intéresse fortement à la géo-ingénierie), pensent que le réchauffement n’est pas si grave et qu’un simple « truc » technique » peut contribuer à l’éliminer -sans remettre en cause l’ensemble des pollutions actuelles.

Toujours est-il que rien n’est résolu concernant les craintes suscitées par la géo-ingénierie. On ne sait pas quel sera son impact à long terme. S’il sera possible de stopper son usage en cas de conséquences trop négatives ou si on ne sera pas obligé, une fois le processus mis en route, de le continuer pendant des milliers d’années…

Face à toutes ces questions, apparaissent cependant certains projets alternatifs qui semblent un peu moins effrayants. Ils ont pour but non pas de changer le climat de la planète entière, mais d’agir sur certains écosystèmes particuliers. Cela ne résoudra pas le problème de base, mais nous permettrait de gagner un peu de temps, ou de sauver certains aspects de la biodiversité locale.

En janvier dernier, nous avons brièvement présenté ice911. Le but de cette organisation est de recouvrir d’un sable artificiel les glaces de l’arctique, afin de limiter leur fonte : l’une des principales conséquences du réchauffement climatique. Dans notre dossier sur la dé-extinction, nous avons parlé du parc du pléistocène : la réintroduction de gros mammifères dans la toundra (y compris des espèces « dé-éteintes », comme des pseudo mammouths) afin d’éviter le réchauffement du permafrost. Mais il existe d’autres propositions de géo-ingénierie locale.

Protéger les glaciers


Cette année, on a ainsi beaucoup envisagé la possibilité de limiter la fonte des glaces par la construction de murs pour protéger les glaciers. C’est le sujet d’une étude publiée en septembre dans la revue Cryosphere et présentée – entre autres par The Guardian.

Cette recherche s’attaque principalement à la protection d’un glacier de l’Antarctique, le glacier Thwaites.

Il s’agirait, expliquent les chercheurs, de construire des piles de gravier ou de sable, d’environ 300 mètres de hauteur, dont le but serait non seulement d’empêcher l’effondrement de cette structure géologique, mais également de bloquer l’irruption des eaux tièdes à l’intérieur du glacier. Cela implique certainement de grands travaux, mais pas plus énormes que d’autres qui ont déjà été entrepris. En effet, pour construire ces pylônes, il faudrait déplacer environ entre 0,1 et 1,5 km3 de matériaux. C’est comparable aux 0,3 km3 utilisés pour créer des îles artificielles au large de Dubaï, ou même à l’unique km3 déplacé lors de la construction du canal de Suez.

Cette étude n’est pas la première du genre. Déjà, en mars dernier un long article de Nature se posait la question de la construction de telles structures. L’auteur de cet article se penchait sur trois types de technologies. La première est la construction d’un mur, comme on vient de le voir. Mais plutôt que le Thwaites, Nature envisageait plutôt un glacier du Groenland, le Jakobshavn. Celui-ci est moins important que son équivalent antarctique (la contribution du Groenland à la montée des eaux ne serait que de 10-20 cm en 2100), mais sa protection pourrait servir de test avant de s’attaquer à ses cousins géants du pôle Sud.

Deuxième approche envisagée : la protection des barrières de glace. Il s’agit de gigantesques plaques flottantes que le réchauffement a malheureusement tendance à faire fondre et à scinder (ce qui entraîne la production d’icebergs). L’idée consisterait, toujours par un système de « murs », à bloquer ces îles en face des glaciers antarctiques, comme le Twaithes ou encore le Glacier de l’île de Pin afin d’éviter leur fonte.
Enfin, dernière technique, assécher les courants d’eau liquides circulant sous les glaciers. En effet, ces courants jouent le rôle d’un lubrifiant qui accélère la fuite des glaces dans l’océan. Ces « rivières » se trouvant sous les glaciers, il faudrait toutefois creuser en profondeur pour les atteindre et agir dessus.

Sauver les coraux


Abandonnons un peu les glaces pour les mers chaudes. Un autre projet de géo-ingénierie concerne les récifs coralliens, victimes du réchauffement, mais aussi d’une de ses conséquences collatérales : l’acidification des océans. Un rapport de l’académie américaine des sciences se penche sur la question, nous rapporte Gizmodo.

Le rapport préconise plusieurs sortes d’interventions, par exemple, une solution consisterait à modifier les coraux. Il existe en effet certains spécimens de ces animaux (rappelons que le corail est bel et bien un animal) qui s’avèrent être des « supercoraux ». Autrement dit, ils sont capables de résister à de hautes températures aquatiques ou à des eaux trop acides. Partir de ces mutants pour modifier génétiquement les coraux afin de les rendre plus résistants pourrait constituer une voie d’approche.

Mais surtout certaines suggestions s’apparentent bel et bien à de la géo-ingénierie pure et dure. En fait il s’agirait essentiellement d’appliquer des techniques qui ont été imaginées pour la terre entière, mais à un niveau plus local. Le rapport envisage plusieurs techniques. La première consiste à diminuer l’impact de la lumière solaire. La seconde méthode consiste à mélanger eaux chaudes et froides. Enfin, il existe un éventail de projets visant à diminuer l’acidité de l’eau, un aspect du réchauffement qui n’est en général pas pris en compte par les techniques de géo-ingénierie « classiques ».

Pour assombrir les zones coralliennes, le rapport suggère de recourir à la technique des aérosols pulvérisés dans la haute atmosphère, une technologie déjà largement envisagée pour refroidir toute la planète, mais limitée cette fois à un espace plus restreint. Une autre technique, plus originale et directement adaptée aux océans, consisterait à asperger la surface des eaux avec du carbonate de calcium, ce qui aurait pour conséquence de refléter la lumière du soleil, et donc d’éviter le réchauffement des eaux situées en dessous. La technique de mélange des eaux quant à elle vise à faire remonter via de puissants systèmes mécaniques les eaux froides des profondeurs pour les mélanger avec celles plus proches de la surface. Là aussi cette technique appartient aux solutions globales de géo-ingénierie. Elle peut toutefois s’appliquer de manière assez aisée de façon locale. Mais elle présente toutefois un risque pour le milieu corallien. Ce mélange peut exacerber la production de CO2 et des nutriments présents dans l’eau, ce qui entraînerait une augmentation de la population des algues et de l’acidification de l’eau.

Reste la question de l’acidification, justement. L’essence des techniques envisagées consiste à augmenter le PH de l’eau, mais, nous précise le rapport, la simple mesure du PH est insuffisante. Il faudrait en fait, pour être plus précis, mesurer le taux de ions carbonates dans l’eau. Certaines techniques, qui se concentrent uniquement sur le PH, risquent en fait de s’avérer peu efficaces sur l’acidité globale, car ne tenant pas en compte cet important paramètre.

La première solution envisagée pour réduire cette acidité consisterait à introduire dans l’environnement un flux de… bulles ! En effet, il a été démontré qu’un apport de bulles suffisait à réduire le taux de CO2 dans l’eau. On peut ajouter aussi certains produits dans l’eau, comme des bases (rappelons qu’en chimie, la base est à l’opposé de l’acide) ou encore du calcaire… La méthode des bulles est la moins risquée : seul de l’air est ajouté à l’environnement marin. Les ajouts de produits chimiques sont moins inoffensifs et peuvent avoir des conséquences négatives.

Un autre type de solutions consisterait à agir avec des organismes vivants, susceptibles de changer la composition chimique de l’eau. On utiliserait plutôt pour cela deux types différents de plantes, qui auraient des résultats différents sur l’écosystème. D’un côté, les herbiers marins, des espèces de prairies sous-marines constituées de plantes à fleurs, de l’autre, des algues. Chacun a ses avantages et ses inconvénients. Les deux types de végétaux possèdent la capacité de limiter le taux de ions carbonates, avec toutefois un avantage pour les herbiers. Mais les algues peuvent de leur côté être utilisées simultanément à des fins d’aquaculture.

Ces deux techniques présentent en revanche différents problèmes. Les herbiers sont très fragiles face à un changement environnemental. Ce qui rend leur usage plus délicat, précisément à cause du réchauffement climatique ! Les algues, elles, sont plus résistantes. Mais elles peuvent entrer en concurrence avec les coraux : comme ces plantes se « nourrissent » de l’acide de l’eau, elles risquent de proliférer dangereusement dans les zones océaniques concernées. En plus, lorsqu’elles se décomposent, elles « ré-acidifient » l’eau, il faudrait donc les enlever régulièrement.

Aucun miracle, on le voit à attendre de ces techniques. Il s’agit en quelque sorte d’un « plan C » nous permettant de gagner un peu de temps pour… éviter le recours au plan B !

Rémi Sussan

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