Dé-surveiller : peut-on contrer l’accélération technologique ?

La critique de l’accélération numérique suite à la pandémie est nourrie.

La crise sanitaire a certainement accéléré les inégalités. La fortune des plus riches a été accélérée par les marchés financiers, alors que de l’autre côté du spectre, la crise sanitaire a fait basculer des millions de gens dans la pauvreté. Mais ce que la crise sanitaire a plus accéléré encore, c’est bien la transformation numérique de nos existences. Non seulement elle a rendu les technologies numériques plus fortes et puissantes que jamais, mais elle a aussi précipité toutes nos pratiques, tous nos usages dans des formes toujours plus numérisées. Depuis la crise épidémique, nous avons été sommés de télétravailler pour ceux pour lesquels cela était possible… mais également, partout, de substituer à notre présence des rapports distants, donc à utiliser des services numériques partout où cela était possible. La distanciation physique semble avoir plus encouragé la digitalisation que n’y était parvenue la seule promesse des gains de productivité de la transformation numérique. Reste qu’en basculant nos existences dans les écrans, nous avons été saisis d’un manque, d’une angoisse. Celui d’un besoin inaltérable, indépassable de relations sociales pour être soi et faire monde commun. Si tout est transposable dans les services numériques, il y a quelque chose qui y résiste : le sens, notre inextinguible besoin de la présence des autres. Jetés dans les écrans nous nous sommes rendus compte que la réalité n’était pas si facilement substituable, remplaçable. Entre la promesse de nous télécharger dans le réseau et le fait de se retrouver brutalement assis dans nos matrices de survie, nous avons éprouvé toute l’ampleur de la différence entre la réalité et le cauchemar.

Cette accélération, cette bascule, masque d’autres accélérations : celle de l’individualisation et de de la dépolitisation, comme celle de la surveillance, inscrite dans la nature même du numérique. Dans l’accélération de la surveillance, ce sont nos libertés et notre autonomie qui sont mises à mal. Comment trouver encore un espace où tout ne soit pas déterminé ? Un espace où l’on puisse encore converser, discuter, dialoguer… trouver des moyens pour n’être pas réduit aux cases, seuils et critères rigides des systèmes.

À l’espoir d’un « Green New Deal » a succédé le risque d’une bascule numérique, un « Screen New Deal », constatait dès mai 2020 la journaliste et essayiste altermondialiste Naomi Klein (@NaomiAKlein) : c’est-à-dire un avenir sans contact et sans humain, un changement de nature de nos relations, instrumentées et armées par les technologies numériques. Plus que jamais, nos existences sont confrontées partout à des interfaces. Si cette grande accélération provoque certes un ras-le-bol et un rejet, ce qui est transformé risque d’être là pour durer. Les services numériques qui se sont mis en place ne disparaîtront pas demain. Nous ne reviendrons pas aux guichets ou aux agences, notamment du fait des investissements réalisés. Les interfaces sont là pour durer. Qu’est-ce qui reviendra en présentiel et qu’est-ce qui n’y reviendra pas ? Nous voilà un peu plus enfermés Derrière les grilles des calculs, dans les retz d’une surveillance toujours plus étendue.

Le numérique pour produire une économie de la distanciation sociale ?

Couverture du livre d'Olivier TesquetLe risque, c’est que le numérique soit désormais orienté vers une « économie de la distanciation sociale », explique le journaliste à Télérama, spécialiste de l’analyse de la société de surveillance, Olivier Tesquet (@oliviertesquet), dans son dernier livre, court et tonique, État d’urgence technologique (Premier Parallèle, 2021). Il y rappelle avec force que la sécurité n’a rien à proposer à la société, hormis sa seule logique : toujours plus de sécurité, de surveillance et de répression au détriment de toutes autres réponses à nos difficultés. À l’heure où la santé devient la première des sécurités, le risque est qu’avec elle, toutes nos constructions sociales (école, travail, déplacements..) basculent à leur tour dans l’idéologie mortifère de la seule sécurité.

Dans son livre, Olivier Tesquet ne fait que recenser les dérives sécuritaires de ces derniers mois. Ce nouvel État d’urgence, ce nouvel État d’exception n’a été qu’un accélérateur technologique, puisque ce sont les technos qui portent désormais les données comme leurs interprétations et qui permettent la généralisation d’une surveillance ubiquitaire et sanitaire à bas coût. La massification de la surveillance et de la coercition est partout, des drones à Palantir, de la reconnaissance faciale à la surveillance de nos données de santé, permettant finalement à des technos de guerre de se couvrir d’une nouvelle respectabilité. La surveillance s’immisce toujours plus avant dans nos comportements, qu’importe qu’ils soient évalués n’importe comment.

Le livre d’Olivier Tesquet se concentre sur la « grande surveillance » plutôt que la petite… Il oublie (mais peut-on être exhaustif des transformations en cours) les petites transformations que cette année a accéléré et qui vont également avoir des effets immédiats dans nos vies quotidiennes, par exemple l’accélération de la numérisation des services publics comme des relations avec les services privés, la démultiplication de nouveaux outils numériques comme les compteurs de jauges des commerces ou la bascule de nombre de nos relations par écrans interposés dans un monde zoomifié… On regrettera aussi que sa critique porte plus sur la collecte massifiée oui, que sur les problèmes que posent les traitements et leurs approximations disproportionnées.

Reste que là où on le rejoindra, bien sûr, c’est que la surveillance a beau diffuser son virus, elle n’est un remède contre rien. StopAntiCovid ne soigne personne, pas plus que le passeport vaccinal qu’on nous annonce. Dans cette accoutumance sécuritaire, ce « continuum carcéral », la seule chose qu’on perd, c’est nos libertés ! La montée de la réponse sécuritaire, 12 mois plus tard, n’a fait bouger aucune ligne tant et si bien qu’on se retrouve à la même situation que l’année dernière face au virus, avec 100 000 morts de plus et une crise économique qui couve. Les pare-feu de la sécurité ne nous ont protégé de rien, surtout pas de la dépression généralisée que produit une télé-société. Le philosophe Jean-François Lyotard, qui en 1981 annonçait l’informatisation de la société, avait raison, rappelle Tesquet : la techno est en train de sauver le néolibéralisme de sa propre crise, mais pour nous mener nulle part !

La grande accélération

Couverture du livre de Barbara StieglerDans son très stimulant petit livre, De la démocratie en pandémie (Gallimard, « Tract », 2021), la philosophe Barbara Stiegler, en refaisant le récit de la crise, dresse elle aussi le constat d’une accélération inédite. Nous avons été anesthésiés, « occupés », intoxiqués par des éléments de langage inédits, construisant un monde binaire, simpliste et infantilisant. En basculant « en Pandémie », nous avons été colonisés par un imaginaire psychotique peuplé d’injonctions paradoxales qui nous a tenus à distance de l’État de droit et pire, de la démocratie qui s’est retrouvée, tout comme l’esprit critique, sur le banc des accusés. Nous avons chacun été renvoyés à nos responsabilités individuelles, comme si aucune responsabilité collective n’était envisageable. Renvoyés à nos écrans, nous avons assuré ce que nous avons cru être une continuité, mais qui a surtout été une accélération du capitalisme numérique et de la néoliberalisation de notre société, transformant encore un peu plus la santé, l’éducation et le travail en simples produits consommables, renforçant toujours plus la compétition interindividuelle. Nous avons accepté de nous mettre à distance et donc de dissoudre un peu plus nos collectifs pourtant si essentiels. La crise a été pour le pouvoir une opportunité inédite pour continuer son projet de disloquer la société : en « entrant en Pandémie, [la démocratie] devient un objet contesté et contestable », expliquait-elle en interview pour Marianne. Les collectifs ont été atomisés par le virage numérique au profit de modes de gouvernance autoritaires, à l’image des mesures dites sanitaires – qui tiennent surtout des dispositifs de coercitions sécuritaires que de mesures de santé publique !

Face à des crises et des risques systémiques permanents, la philosophe nous rappelle que nous avons besoin de plus de démocratie. C’est pourtant bien tout l’inverse qui continue de se dérouler sous nos yeux. L’alliance du virus et du numérique s’est révélée un cocktail délétère où l’État de droit, plongé dans un État d’exception pandémique permanent, ne risque rien de moins que de disparaître. Dans son petit tract, Barbara Stiegler nous réveille… Elle nous invite à sortir de la léthargie de la peur qu’a produit le confinement, cette mesure inédite d’arraisonnement de nos existences qui nous fait croire que c’est notre vie sociale et démocratique elles-mêmes qui sont devenues dangereuses. Nous avons accepté des choses inacceptables, rappelait-elle sur France-Culture, et surtout un durcissement renouvelé des pouvoirs dominants. Elle souligne enfin que les transformations que la crise a cristallisées étaient déjà à l’œuvre : la crise n’a fait qu’accélérer une numérisation de nos existences qui tient d’abord d’une dépossession ! Le problème, souligne-t-elle très justement, c’est que l’accélération des investissements dans le numérique annoncent surtout « le caractère irréversible du virage ». Dans un monde où toutes nos activités deviennent numériques, pourrons-nous faire marche arrière et nous extraire de l’économie de distanciation sociale et du recul de l’État de droit qu’elles imposent ?

Nos libertés sont la variable d’ajustement de stratégies illégalistes

Couverture du livre d'Arié AlimiL’avocat Arié Alimi (@AA_Avocats, blog), signe justement avec Le coup d’État d’urgence (Seuil, 2021) un petit livre militant sur le recul des libertés publiques et les dérives autoritaires d’une République en État d’urgence permanent. En reprenant point par point les dispositions d’exception sous lesquelles nous vivons depuis un an (et qui prolongent celles de l’état d’urgence sécuritaire qui lui précédaient), il pointe les dérives de l’État de droit, notamment celles qui visent à sanctionner les intentions, les comportements et les signaux plus que les actes, celle d’une répression inédite et violente qui élargit des dispositifs discriminatoires et discriminants à tous et partout, en laissant une grande marge d’action aux forces de l’ordre par l’imprécision des lois, en initiant un recul de la justice (au profit d’une justice d’urgence et administrative) en élargissant les possibilités de surveillance qui s’enkystent partout sans jamais motiver vraiment ces reculs du droit autrement que par la seule urgence (« L’urgence est une mesure d’autojustification de l’exception »). On pourrait établir d’ailleurs un parallèle avec le dévoiement des traitements qui, par l’imprécision des règles utilisées, leurs glissements permanents, produit un recul de leurs légitimités mêmes.

L’État, par nature, cherche toujours à réduire les libertés, se désolait déjà l’avocat François Sureau. Alimi montre que comme Uber ou les Gafams, l’Etat emploie les mêmes moyens pour parvenir à ses fins : exploiter les failles du droit ! En franchissant les frontières de la légalité, l’État se dévoie, mais c’est là désormais sa stratégie pour réaffirmer son pouvoir. Nous voilà confrontés à un État volontairement « délinquant », comme le montre sa haine des manifestations, usant de tous ses moyens pour les réprimer dans la plus grande illégalité (nasses, fouilles, interdictions tardives, interpellations préventives, violences…). L’État, par nature, cherche à réduire la démocratie, pourrait-on conclure avec lui. Il banalise lui-même des pratiques illégales, comme le soulignait récemment la sociologue Dominique Méda dans un tout autre domaine, montrant le déni des récentes décisions de justice, pour prolonger la non reconnaissance du statut de salariés aux travailleurs des plateformes. Nous sommes là face à des dérives où l’efficacité s’est substituée à l’humanité, ou la sécurité et la répression ont remplacé toutes politiques sociales. Le constat que dresse Arié Alimi est d’autant plus terrible qu’il explique très bien combien nos outils démocratiques ont été défaillants. C’est le constat que dressait également des chercheurs en sociologie des organisations dans l’excellent Covid-19 : une crise organisationnelle (Presses de SciencesPo, 2020) que nous évoquions récemment qui pointaient le recul des instances démocratiques. C’est le même constat que soulignait le journaliste Vincent Glad sur Twitter, qui a produit durant cette année une incroyable veille sur la pandémie, montrant combien le Conseil de défense était le pendant d’un recul institutionnel du Parlement, de son pouvoir législatif, de son rôle de délibération et de débat.

Pour Alimi, la défaillance de nos outils démocratiques est appelée à durer, car le coup d’État d’urgence est là pour durer ! La crise épidémique a montré, comme le dit le député de la France insoumise François Ruffin, que nos libertés sont les variables d’ajustement de la gestion autoritaire de la crise épidémique. Dans une démocratie confinée, nous sommes privés de capacités d’opposition et de réponses.

Nous sommes dénués d’outils de résistance !

Couverture de la revue Techniques et CultureLe dernier numéro de l’excellente revue Techniques et culture (@revue_tc, éditions EHESS, 2020) propose un stimulant catalogue des techniques de luttes : un inventaire des objets de protestation, des motifs militants, des moyens de désobéissance et en trace l’histoire, le sens et les enjeux. Cet inventaire qui évoque le sabotage, les barricades, les « die-in », les affiches, les pneus… rend visible les objets de luttes et les techniques de soulèvement qu’ils incarnent. Ce panorama des instruments « pour semer le trouble dans la mécanique des rapports de domination » flirte avec le manuel visant à la fois à documenter et libérer les outils pour diffuser leurs actions. Il rappelle l’importance de l’incarnation des contestations dans des objets de désobéissance, comme autant de leviers et de témoignages des techniques matérielles d’insubordination.

Ce qui m’a frappé durant cette lecture, c’est que si quelques objets de désobéissance numériques sont bien présents, ils relèvent beaucoup de la coordination des actions, plus que d’outils de renversements. Hormis les botnets et les attaques par déni de service qu’évoquent Nicolas Nova et Félicien Goguey, la lutte numérique semble la grande absente des mobilisations contemporaines, comme si ces outils étaient invariablement insuffisants ou incapables d’armer les luttes contemporaines. Le sabotage, qu’évoque l’historien François Jarrige semble avoir été stoppé par le passage de la machine au réseau. Que peut-on saboter dans un réseau, par nature redondant ?

Cette histoire des luttes contemporaines vues par leurs outils et symboles, semblent avoir de moins en moins d’impacts sur les formes du pouvoir moderne que sont les interfaces, les bases de données et les algorithmes décisionnels. Dans cet inventaire de comment résister on constate que les formes de la résistance numérique, certes stimulantes, ne suffisent pas ou ne produisent pas grand-chose. Les parapluies repoussent les grenades lacrymo, mais pas les arrestations documentées par les outils numériques du pouvoir. Quant aux filets à drones de la Quadrature du Net, ils n’en ont pas encore fait tomber, hélas ! Nos outils numériques de résistance semblent aussi insuffisants que les autres outils qu’évoquaient les précédents auteurs. Si le numérique est un levier de coordination indéniable, celle-ci ne se suffit pas à elle-même.

Le risque de basculer dans une société de vigilance permanente ?

Couverture du livre de Vanessa CodaccioniL’autoritarisme que le numérique renforce peut-il nous faire basculer dans nos pires travers ? C’est la question à laquelle tente de répondre l’essai de la politiste Vanessa Codaccioni (@/vcodaccioni), La société de vigilance (Textuel, 2021). Dans la surveillance, le risque est de glisser dans une société de vigilance, c’est-à-dire une société de surveillance par tous. Pourtant, Vanessa Codaccioni nous rappelle que la délation n’est pas si naturelle que cela : elle est orientée et instrumentée. Notre vigilance n’est pas du tout totale, égale ou neutre : elle est éminemment dirigée, socialement orientée, volontairement discriminante, idéologiquement canalisée. Codaccioni explore le leurre sécuritaire, non pas pour nous montrer que nous y aurions de l’appétit, mais pour souligner que d’autres y ont bien plus d’appétit que nous et qu’ils orientent notre regard sécuritaire (pas sur la délinquance en col blanc ni sur l’évasion fiscale, vous l’aurez compris, pas au profit des lanceurs d’alerte non plus, mais bien à l’encontre des plus démunis, des populations précaires, étrangères, « déviantes »…). Nous ne sommes pas dans l’ère du panoptique, mais dans celle du « synoptique » : celle de la surveillance de quelques-uns par tous, renforcée par le marché et la technologie. Le but de cette vigilance vise à légitimer la surveillance et la répression et déresponsabiliser les acteurs moteurs de cette évolution. D’où le glissement que constatait également Alimi dans Le coup d’État d’urgence : la stigmatisation de comportements, la criminalisation de profils, de signes… Comme le dit Codaccioni dans Médiapart, ces stigmatisations se renforcent et s’étendent, notamment à l’encontre de toutes formes de contestation.

Cette signose, qui est au coeur des outils d’analyse automatisés, qui légitiment en retour des politiques discriminatoires qui ne produisent pourtant rien d’autre que de la discrimination. Le signalement, la délation… sont plus entretenus que spontanées et ce alors que la répression, elle, est maintenue loin du regard du délateur. L’entretien de la délation qui s’étend sans cesse à de nouvelles cibles, profils, dangers… s’immisce jusqu’aux relations familiales et intimes et légitimes finalement toutes les haines et leur garantie « une impunité au nom de la sécurité », explique-t-elle.. Dans le vortex de la sécurité, le spectre répressif est sans fin… Et son horizon vise à contraindre à la délation, pour nous enrôler tous dans l’idéologie mortifère de la seule sécurité. Petit à petit, en rendant Tout sécuritaire (l’école comme l’assistance sociale par exemple), le risque est bien qu’il n’y ait plus d’autres buts que sécuritaire… Qu’une répression pour elle-même, en roue libre, qui ne réponde plus aux causes sociales des déviances, comme la précarité économique ou sociale, autrement que par la seule répression. Les perspectives de notre obsession sécuritaire sont définitivement glaçantes, notamment parce qu’elles semblent sans limites aucune, s’installant dans chaque dossier conservé, dans chaque donnée échangée, dans chaque classification effectuée et dans des interconnexions sur lesquelles plus personne n’a la main.

Dé-surveiller pour décélérer ?

Le chemin que tissent ces quelques lectures est incomplet et imparfait, forcément subjectif. Néanmoins, l’accélération numérique dont ils font tous état, souligne combien nos réponses ne sont pas à la hauteur, combien nous sommes démunis individuellement comme collectivement face à un modèle de société qui se renforce par la surveillance numérique et par l’exploitation des lacunes de l’État de droit.

Constatons deux choses. Malgré une production pléthorique de lois, les béances de l’État de droit restent entières. Comme si la production de plus de droit ne produisait finalement pas de réponse effective. Voire, pire, comme si finalement ses béances étaient son mode de développement. Même constat quant à la production pléthorique de surveillance… Là encore, cette obsession ne produit rien d’autre qu’elle-même. La loi comme la surveillance ressemblent finalement beaucoup au technosolutionnisme, c’est-à-dire qu’elles produisent essentiellement leur propre solution : toujours plus de loi, de surveillance ou de technologie, sans motiver cette production de résultats effectifs. Comme si ces réponses ne cherchaient à produire finalement que leur propre accélération.

C’est d’ailleurs ce que constate le collectif technocritique Pièces et Main d’oeuvre, l’économie n’est pas tant suspendue qu’en suractivité. « C’est l’accélération elle-même qui s’accélère ». Notre « transition » n’est pas tant énergétique (pour autant qu’elle le soit) que numérique : allant du télécommerce au télétravail, en passant par la télémédecine et le téléenseignement, le télédivertissement comme les téléservices… Nous voici partout happés, dévorés, par l’ogre numérique. Pourtant, « ce ne sont pas les projets de décroissance qui mettent de plus en plus de gens des classes moyennes et populaires sur la touche ; ce sont les promoteurs de la quatrième révolution industrielle », soulignait le patron des éditions La lenteur, Matthieu Amiech dans Mediapart. Le sociologue et philosophe allemand, Hartmut Rosa nous avait pourtant prévenu : l’accélération, c’est la fuite en avant de la modernité. Il nous invitait alors à décélérer tout en soulignant combien ces résistances risquaient d’être insuffisantes pour renverser l’emballement de la machine.

Même constat pour la juriste Mireille Delmas-Marty qui souligne combien l’obsession sécuritaire produit un univers infantilisant dont l’absence de fiabilité et d’efficacité est rarement mis en cause. Elle se développe finalement sans jamais avoir à prouver son efficacité, sans poser de limites autres qu’éphémères, ni de réelles barrières aux risques de changements de finalité, ni de garanties de proportionnalité par nature changeantes. La surveillance finalement est convoquée pour soigner et prendre soin, pour diagnostiquer, traiter, enquêter, apaiser… comme si par sa seule présence elle pouvait tout soigner, oubliant qu’elle produit d’abord et partout du contrôle, de la répression, des discriminations.

Il n’y a pas vraiment d’antonyme à la surveillance. Sans mots pour s’y opposer, on comprend qu’il soit donc difficile de nous en défaire.

Hubert Guillaud

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0 commentaires

  1. Il n’y a donc pas d’antonyme à surveillance … intéressant …
    Mais ne parle-t-on pas ici de surveillance malveillante vs surveillance bienveillante.
    Avec en toile de fond l’éternelle question : qui surveille les surveillants ?

    1. Oui, Toto ! Dans la « veillance », on peut effectivement distinguer la bienveillance de la surveillance effectivement. On sait également qualifier la sous-veillance qui consiste justement à surveiller les surveillants.