L’effondrement de la psychologie sociale – Slate.com

Notre volonté est-elle cognitivement limitée ? S’épuise-t-elle à mesure qu’on s’en sert. C’est ce qu’on croyait jusqu’à présent rappelle Daniel Engber dans un remarquable article pour Slate.com sur les limites cognitives de notre volonté.

 Il rappelle l’expérience (.pdf) lancée dans les années 90 par les psychologues Roy Baumeister et Dianne Tice sur l’autocontrôle. L’expérience consistait à faire résoudre un casse-tête impossible à des étudiants : certains n’avaient mangé que des radis, alors que les autres avaient eux pu choisir de délicieux et odorants cookies (et ceux qui avaient mangé les radis devant se refréner pour ne pas se jeter sur les cookies mis en évidence pour les allécher). Ceux qui avaient mangé les cookies étaient resté en moyenne 19 minutes sur le casse-tête, une durée similaire à un groupe de contrôle à qui on n’avait rien proposé à manger du tout. Ceux qui avaient mangé les radis mais pas pu goûter aux cookies avaient jeté l’éponge au bout de 8 minutes.

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Les psychologues ont parlé “d’épuisement de l’égo” pour parler du fait que nous avons une volonté limitée et qui diminue à mesure qu’on y a recours. Manger un radis quand vous êtes entouré de biscuits frais relève d’une abnégation épique et l’épuisement pour résister épuise le muscle mental de notre volonté. 

A la suite de ces recherches, de nombreux chercheurs ont montré que des tâches différentes étaient capables de drainer notre énergie mentale et de nous laisser cognitivement appauvri. Une méta-étude (.pdf) réalisée en 2010, s’appuyant sur 200 expériences distinctes, soulignait que l’épuisement de soi semblait un phénomène fiable. Baumeister et John Tierney du New-York Times en ont même tiré un bestseller : Le pouvoir de la volonté : la nouvelle science du self-contrôle.  

Mais voilà, une étude à paraître dans la revue Perspectives en science psychologique qui a tenté de reproduire l’expérience originale auprès de 2000 personnes depuis une vingtaine de laboratoires différents sur plusieurs continents… ne révèle aucun épuisement de la volonté. 

Si nous avons déjà évoqué la crise de reproductibilité en psychologie, pour Daniel Engber, ce nouveau pavé dans la marre jette un doute non seulement sur des recherches, mais sur l’idée qui la motivait tout entière. La théorie de Baumeister sur l’épuisement de la volonté a pourtant été étudié de nombreuses fois… Ce n’est pas une idée folle qui semble construite sur un ensemble de données fragiles, mais un édifice de la connaissance construit sur plusieurs années de travail par de nombreux chercheurs… qui pourrait s’avérer complètement faux. Si tout ce qui est établi peut se désagréger, ce n’est pas seulement inquiétant pour la recherche en psychologie, c’est terrifiant, estime le journaliste. En fait, expliquent les chercheurs Evan Carter et
Michael McCullough du Laboratoire de comportement humain de l’université de Miami qui ont réalisé cette étude, la méta-analyse a surtout écarté nombres d’études sur le sujet qui n’ont jamais été publiées. En les ré-analysant, ils ont surtout pointé le fait qu’il y avait très peu de preuve d’un effet réel d’épuisement de la volonté. 

Cette remise en cause ne signifie pas pour autant que notre volonté soit une ressource infinie, rappelle Engber. Reste que l’épuisement de la volonté semble bien moins robuste qu’on le prétendait et notamment être très sensible aux conditions d’expérimentation. Le prouver montre peut-être surtout que vous avez trouver une méthode qui colle à votre hypothèse. Pour le professeur en psychologie, Michael Inzlicht du laboratoire de neuroscience sociale l’université de Toronto, ce n’est pas seulement la recherche sur l’épuisement de la volonté qui doit repartir à zéro, mais également toute la psychologie sociale. Même les méta-analyses, qu’on pensait très fiables, savent être détournées. Si vous analysez 200 études mal foutues, vous obtiendrez une réponse mal foutues. Baumeister a annoncé qu’il allait reprendre ses études sur le sujet à zéro, même si ce n’est pas agréable. 

Le manque de fiabilité sur les recherches en psychologie sociale que cette étude met en cause, sans jeter l’opprobre sur tout le secteur, pointe en elle-même les limites de nombre d’applications qui en découlent : celles de l’économie comportementale, comme celles de l’internet des objets et des outils de mesure de soi… 

MAJ : sur le Washington Post, Joshua Tucker revient sur de nouvelles études provenant de Science et du Journal de science politique expérimental et d’un article d’un chercheur de l’Université de Columbia, qui montrent au contraire un taux de réplication des expériences assez élevé. Les différences avec la polémique de la non réplication publiée il y a quelques mois par Science, pourrait-être liée au fait que cette réplicabilité est améliorée par la prise en compte d’études avec des corpus plus petits et d’études publiées dans des journaux moins ambitieux dans leurs politiques éditoriales (et donc bouleversant moins la science) et sur des champs disciplinaires plus larges. 

MAJ : Slate.fr a traduit l’article d’Engber en intégralité.

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