Innovation et internet : « Innovation et changement dans les organisations »

Dans le cadre de l’Université de printemps de la Fing qui s’est tenue à Aix-en-Provence les 8, 9 et 10 juin 2005, InternetActu.net vous propose une série de compte rendus synthétiques d’une sélection d’ateliers et de plénières. Pour nos lecteurs désirant aller plus loin, les enregistrements vidéos sont disponibles en ligne.

L’introduction à cet atelier, par Alain d’Iribarne (Laboratoire d’économie et de sociologie du travail de l’université d’Aix-en-Provence et de la Maison des sciences de l’Homme de Paris Nord), permet d’embler de saisir la complexité à l’oeuvre lorsque des changements surgissent dans le fonctionnement d’une structure. L’innovation au sein des organisations touche des dimensions technologiques aussi bien que sociales et institutionnelles, fortement corrélées, créant des répercussions en chaîne lorsque l’une d’elles est modifiée.

Il existe des résistances aux changements, qui ont souvent besoin d’être éclaircies car elles proviennent de constructions sociales qui renvoient à des constructions d’identités. C’est ainsi que l’on peut distinguer deux approches : le salarié « de base » approche l’innovation par son intérêt propre en tant qu’acteur, et ce qu’il pourra en retirer au regard des efforts consentis ; le manager impose une vision dictée par l’efficacité de fonctionnement de l’organisation, typique de la société schumpetérienne (la « destruction créatrice ») dans laquelle nous vivons.

Cathy Dubois, consultante auprès de l’Agence pour le développement de l’administration électronique, s’interroge sur certaines forme de blocage face à l’introduction d’innovations organisationnelles. Les évaluations sont perçues comme une intrusion dans le quotidien, rejetée par les fonctionnaires qui se sentent épiés. La volonté de mettre en concurrence plusieurs équipes de travail, dans un but de stimulation et d’optimisation de l’acquisition des changements, produit un climat tendu et peu fertile. Ce sur quoi Alain d’Iribarne rebondit en spécifiant qu’un climat propice est nécessaire. Il est nécessaire qu’il y ait des échanges au sein de la structure : d’une part du haut vers la base de la pyramide, car il y a un système hiérarchique à respecter, mais aussi de la base vers le sommet. Or Patrice Flichy, chercheur au Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés de l’Université de Marne-la-Vallée et directeur de la revue Réseaux, précise que son expérience ne l’a jamais fait rencontrer des structures où des négociations avaient lieu entre les employés et la direction avant ou autour de l’arrivée d’innovation.

Dans un sens plus positif, Godefroy Beauvallet, de l’Ecole nationale supérieur des télécommunications de Paris, considère que des projets aux conséquences organisationnelles importantes, tels que l’introduction d’un ERP (Enterprise Resources Planning ou Progiciel de gestion intégré), fournissent l’occasion de revisiter ce qui était auparavant implicité : modes de travail, stratégie, orientations… En citant James Marsh, il propose de ne pas partir d’une « vision », comme le font bien souvent les managers, car le rapport entre cette vision, les sacrifices demandés et la réalité finale est souvent difficile à justifier. Il suggère plutôt de décaler la vue de l’existant en montrant aux salariés, ce qui était efficace et ne l’est plus actuellement.

Une dernière dimension doit être prise en compte, il s’agit du type de structure. Le milieu dans lequel nous évoluons peut modifier l’approche des changements lorsque l’on est dans des structures privées par exemple, c’est à dire sous des contraintes économiques ou au contraire dans un service public. Pour Patrice Flichy, les entreprises ont du mal à faire des calculs de rentabilité pour ce qui concerne les décisions autour de l’innovation, alors qu’elles le font pour tout ce qui touche à la production, rappelant ainsi le paradoxe de Solow. Selon Cathy Dubois, dans l’administration, la recherche d’améliorations légères en matière de service au quotidien est nettement préférée aux changements plus profonds, pour ne pas dégrader ni le climat social, ni les prestations aux usagers qui pourraient s’effriter durant le temps d’adaptation. Il y a plus un essaimage des innovations et nous sommes bien loin de la standardisation. Peut être y aura-t-il une recherche plus poussée de changement lors de l’arrivée des nouvelles générations ?

Fabien Moguen

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0 commentaires

  1. Ce débat est-il si passionnant qu’on le réduise à ce point ?
    En effet (en reprenant D’Iribarne), le salarié « de base » et le manager ne fonctionnent pas au départ sur les mêmes logiques. Mais tout en en niant pas cette divergence d’intérêts et de vues, on peut propulser toutes les énergies vers un projet commun (même si l’on rencontre chemin faisant une certaine déperdition) : projet d’entreprise, innovation technologique, innovation d’usage, modification de modes d’organisation dominants etc.
    Ceci nécessite de passer par un contrat clair sur ce qu’on poursuit ensemble (et sur qui ne fait pas partie du contrat).
    Quant à l’évaluation liée à des changements organisationnels impliquant des équipes trop souvent perçues de manière analytique comme « concurrentes », j’ai personnellement connu et animé avec d’autres acteurs en entreprise des projets qui cassaient cet apparent verrou contre l’innovation à quelques conditions :
    – vision claire et partagée de l’équipe de direction, le « portage » (et non l’entubage)
    – investissement des acteurs de terrain (ex: les populations d’opérateurs de production et leur encadrement) dans des actions de changement accompagnées
    – moyens organisationnels mis en place en tant que conditions de réussite (quand on demande à quelqu’un de changer, on l’écoute, on lui livre de l’information adulte-adulte, on le recadre si nécessaire et on rentre dans une relation gagnant-gagnant pas facile à vivre si les acteurs ne mettent pas au vestiaire leurs a priori).
    A ce prix une innovation organisationnelle est possible, mais jamais jouée… les écueils sur le chemin sont la régression, le torpillage, le non renouvellement des projets et idées créatrices (et j’en passe). Mais celui ou celle qui créée et qui mène à bien son aventure connaît bien ces scénarios et peut apprendre à naviguer (sans forcément travailler sur l’Airbus A380 !).