Votre job sera “tâchifié”

Sur l’excellent blog (@msrsmc) de Microsoft Research consacré aux médias sociaux, la chercheuse Mary Gray, revient sur le développement de la “tâchification” du travail. Ce travail à la pièce en ligne (on parle de crowdwork, le travail par la foule pour désigner par exemple le travail découpé sous forme de micro-tâche comme le réalise le Mechanical Turk d’Amazon), qui est une des formes du digital labor (voir notamment “Qui des algorithmes ou des clients seront nos nouveaux patrons ?”), représente un changement radical dans la façon dont nous définissons l’emploi lui-même, estime Mary Gray. Ces travailleurs à la tâche ne sont ni pas des employés, mais des utilisateurs, des “clients” de ces plateformes qui proposent des tâches à prix fixe et qui lient les contractants à leurs donneurs d’ordres par des “accords d’utilisation”, des conditions d’utilisation qui ressemblent plus à des licences logicielles qu’à des contrats de travail.

Des chercheurs d’Oxford estiment que 30 % du travail pourrait être organisé sous cette forme aux Etats-Unis d’ici 20 ans. Pour Mary Gray, la menace à venir n’est pas celle de l’automatisation ou de la robotisation, mais bien avant tout celle de l’uberification du travail, “c’est-à-dire la fragmentation des emplois en micro-tâches externalisées et le démantèlement des salaires en micropaiements”.

Mary Gray explique que sont équipe de recherche a passé deux ans à étudier la vie de centaines de “crowdworkers” américains et indiens, à l’image de Riya Khan, un indien de 32 ans de l’Andhra Pradesh en Inde qui parvenait à se faire jusqu’à 40$ en 10 heures dans ses bons jours via ces plateformes (100 fois plus que ce que des agriculteurs voisins pouvaient gagner). Khan a invité ses voisins sur le turc mécanique d’Amazon pour l’aider dans ses tâches, il a déniché pour eux des tâches dont le niveau de compétence correspondait mieux à ses collègues et traitait pour eux les déclarations finales lorsqu’ils avaient accomplis leurs tâches… Mais petit à petit Amazon a débranché, unilatéralement, les comptes de chacun, comme le lui autorise les CGU. Riya Khan a eu beau tenter de plaider sa cause et celle de ses collègues auprès d’Amazon, il n’a reçu rien d’autre que des réponses automatiques à ses requêtes. “En l’absence d’une définition légale des droits et responsabilités des parties concernées, les accords de services sont les lois de travail par défaut de ces plateformes.” Pour Mary Gray, l’expérience de Riya Khan sonne comme un avertissement pour nous tous. Et la chercheuse de nous inviter à reconnaître que les sites de crowdwork ne sont pas seulement des services pratiques, mais préfigurent l’avenir de l’emploi et donc nécessite de développer des règles d’utilisation claires. L’enjeu n’est pas seulement celui de la requalification d’employés contractuels en salariés, il est aussi celui des modalités d’accès des employés, des garanties sociales afférentes (revenu minimum, congés payés, limites d’heures, garantie contre le travail des enfants, possibilité de réclamation, etc.).

Face à l’arrivée de la ligne d’assemblage globale, nous devons trouver les moyens de nouvelles garanties sociales.

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