La ville à l’épreuve des places

“L’occupation des places questionne les formes de vivre ensemble et la cohabitation dans nos villes à plusieurs temps. Elle interpelle le pouvoir qui a toujours cherché à contrôler la nuit. Etre debout, veiller, débattre en direct sur les places et sur les réseaux sociaux, c’est aussi être à contre-courant, dépasser les bornes, transgresser et défier la norme sociale dominante. (…)

Entre résistance, indignation et désobéissance, [le mouvement des places] rejoint d’autres formes d’appropriation (de revendication ou de subsistance), comme les squats, les campements de SDF ou de Roms, les ZAD, ces «zones à défendre» qui ont surgi face à des projets d’aménagement, voire les poétiques «occupations potagères» et les alternatives locales qui s’allument partout comme des lucioles. Nuit debout est à la fois une «zone autonome temporaire» et une scène.

Les installations de Nuit debout sont du côté du souple, du mobile et du temporaire, face aux aménagements plus pérennes de la ville contemporaine. L’esthétique du recyclage et des palettes s’oppose à celle du béton et des paillettes. (…) les occupations interrogent les modes d’habiter loin d’une approche technocratique de l’espace. (…)

Les occupations s’opposent au mouvement de privatisation des espaces publics. Elles favorisent la rencontre, les interactions et l’affirmation positive des invisibles : sans-domicile-fixe, travailleurs pauvres, migrants ou jeunes précarisés. Elles construisent un «espace public du faire» où tester les notions de collectif et de commun. (…)

Entre nouvelle revendication au «droit à la ville» d’Henri Lefebvre et «néosituationnisme» au sens de Guy Debord, ces occupations temporaires multisites sont des laboratoires vivants de la complexité.

(…) Dans la nuit, sur les places, des femmes et des hommes éprouvent et habitent la ville dans ses tensions et ses potentiels. Ensemble, par la construction de situations, ils se réapproprient le réel, en faisant confiance à l’épreuve de la rencontre, du débat, de l’improvisation et de la sérendipité. Par l’appropriation d’un temps et d’un espace, ils existent et font société. L’espace d’une soirée, la ville a lieu. (…)”

Le géographe Luc Gwiazdzinski in Libération.

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