La technologie d’au-dessous et d’au-delà – Roughtype.com

Nicholas Carr, sur son blog, revient sur une conférence (.pdf) du sociologue Bruno Latour donnée à l’Académie royale de Copenhague en février dernier. Nous vivons dans deux mondes, explique Latour retranscrit par Carr. La nature, le monde d’en bas, la terre et la transcendance, le monde de l’au-delà. Cette seconde nature reflète notre désir d’un monde “plus solide, moins transitoire, moins périssable” que la première. Longtemps, cette seconde nature s’est manifestée dans le mythe et la religion. Aujourd’hui, elle se manifeste surtout dans les lois de l’économie.

“Le monde transcendant de l’au-delà a toujours été plus durable que le pauvre monde ci-dessous. Mais ce qui est nouveau, c’est que le monde de l’au-delà n’est pas celui du salut et de l’éternité, mais celui des questions économiques (…) Le monde de l’économie, loin de représenter un solide matérialisme terre-à-terre, un appétit pour les biens terrestres et les matières solides, est maintenant définitif et absolu.”

Purger un système économique de ses contingences et l’investir d’une inexorabilité tend à “générer pour la plupart des personnes qui ne bénéficient pas de ses richesses, un sentiment d’impuissance et pour les quelques personnes qui en bénéficient, un immense enthousiasme lié à un mutisme des sens”. Pour Carr, ce qui dit Latour de l’économie pourrait tout à fait s’appliquer à la technologie, explique-t-il en remplaçant le terme capitalisme par technologie :

“Nous commençons à voir combien il est difficile de démêler les affects contradictoires créé par le concept de technologie : il génère un enthousiasme prodigieux pour en saisir les opportunités limitées, un sentiment dystopique d’impuissance totale pour ceux qui sont soumis à ses décrets, une désinhibition complète sur les conséquences à long terme de son action pour ceux qui en profitent ; une blessure perverse de supériorité béate à l’encontre de ceux qui n’ont pas réussi à limiter sa progression ; une fascination pour ses lois de fer dans les yeux de ceux qui prétendent étudier son développement, au point qu’elle semble mieux fonctionner que la nature elle-même ; une indifférence totale à la façon dont l’endroit où elle est enracinée est occupée ; une confusion totale au sujet de ce qui devrait être traité comme un étranger et qui est un voisin proche. Et surtout, elle marque un mouvement vers la modernisation qui délégitime ceux qui restent à côté, comme autant de perdants. En fait, maintenant que la technologie est supposée n’avoir aucun ennemi, elle est devenu le simple symptôme de la poussée en avant implacable de la modernisation. De cet enchevêtrement d’effets, je ne reçois pas d’autre sentiment qu’un sentiment accru d’impuissance. La simple évocation de la technologie me rend muet.”

Toute résistance est futile. Selon la personne qui parle, c’est là une déclaration de triomphalisme ou de défaitisme. Latour trouve qu’il y a une grande ironie dans l’inversion entre ce qui est transitoire et ce qui est éternel. L’ironie est encore plus forte si l’on considère l’inversion similaire qui a lieu dans notre représentation de la technologie. La gloire de la technologie découle des possibilités qu’elle offre aux gens dans le monde matériel. Or, c’est par ce qu’elle permet de réaliser en tant que force implacable et transcendante, qu’elle règne.

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