En 1884, le théologien Edwin Abbot écrivit un étrange roman, Flatland, mettent en scène les habitants d’un univers à deux dimensions. Il y suivait les pérégrinations de son héros, Un Carré, après sa rencontre avec une entité issue de la troisième dimension. Depuis, Flatland est fréquemment utilisé dans les livres de vulgarisation mathématiques pour expliquer le concept de dimensionnalité.

Mais bien sûr il s’agit d’une fiction. A moins que… Et si la vie dans un univers à deux dimensions (ou plus exactement 2+1, car il faut ajouter le temps) était vraiment possible ? La Technology Review a décrypté un article (disponible en ligne sur ArXiv, mais à moins que vous n’ayez un doctorat en maths, il est complètement incompréhensible) qui semble y répondre par l’affirmative.

Jusqu’ici, la plupart des physiciens et philosophes pensaient cela impossible. La raison en serait que la relativité générale ne pourrait fonctionner dans un tel monde vu que la gravitation n’y existerait pas.

L’auteur du papier, James Scargill, montre qu’il pourrait très bien exister une forme de gravitation dans un univers bidimensionnel, et donc la possibilité d’un univers supportant le vivant. De plus, il cherche à montrer l’extrême complexité susceptible d’être atteinte avec seulement deux dimensions (plus le temps). Et pour cela, le chercheur s’est inspiré des réseaux de neurones. Ceux-ci, en effet, possèdent des caractéristiques complexes qui peuvent être reproduites en 2D. Au premier plan, les « réseaux en petit monde« . Rappelons-en rapidement le principe : il s’agit de réseaux dans lesquels n’importe quel élément peut entrer très vite en relation avec n’importe quel autre. C’est la fameuse notion des « six degrés de séparation ». Un jeu bien connu, 6 degrees of Kevin Bacon, montre que le monde du cinéma est un de ces « petits mondes ». Tous les acteurs ont en effet peu de degrés de séparation avec cet acteur.

Une autre caractéristique des réseaux de neurones est la possibilité de constituer des sous-modules, des sous-réseaux, le tout s’organisant selon une hiérarchie. Là encore, Scargill montre que de tels systèmes peuvent très bien s’auto-organiser en deux dimensions.

Enfin, troisième aspect de la complexité neuronale : la capacité de ces systèmes à effectuer rapidement la transition entre une forte activité à une autre beaucoup plus faible, un phénomène appelé la « criticalité ». Là aussi, ce serait réalisable en 2D.

Bien entendu, rien ne prouve qu’il existe de la vie dans des univers 2D (rien ne prouve non plus qu’il existe des univers 2D, d’ailleurs…), mais ce genre d’études, même purement théorique, possède des conséquences d’ordre philosophique importantes, souligne la Technology Review. En effet, le fait que nous vivions dans un univers de 3 dimensions spatiales plus une de temps est un des points forts du principe anthropique. Ce concept philosophique souligne qu’il n’existe qu’un tout petit nombre de paramètres susceptibles de donner naissance à des observateurs. Si certaines variables de notre univers changeaient, même très légèrement, nous n’existerions pas pour en parler. Selon les tenants du principe anthropique, notre monde possède juste le bon nombre de dimensions pour permettre notre apparition. Ainsi, la Technology Review cite le cosmologiste Max Tegmark, qui affirme que « dans un espace de plus de trois dimensions, il ne peut y avoir d’atomes traditionnels et peut-être pas de structures stables » (ce genre d’argumentation typique du principe anthropique m’a toujours paru curieux, car rien ne dit qu’en lieu et place des atomes des structures plus complexes et inimaginables ne verraient pas le jour dans un univers différent).

Ce qui est vrai pour trop de dimensions serait donc faux pour des univers en possédant moins de trois. Cela remet en question la notion de principe anthropique, selon qui, pour employer l’expression de Leibniz, notre univers serait « le meilleur des mondes possibles » (et pour être précis, le seul). Reste que, personnellement, je ne serai pas surpris de voir un jour publié un papier montrant que des univers avec des dimensions supplémentaires peuvent eux aussi abriter la complexité et la vie !

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