Les humains derrière l’intelligence artificielle du Turc Mécanique

A priori, nous n’avons plus besoin de vous présenter Amazon Mechanical Turk, la plateforme de micro-tâches d’Amazon permettant de trouver pour quelques centimes une personne pour taguer des photos, traduire un texte, modérer du contenu, renommer des fichiers… Mais depuis sa mise en place il y a dix ans, les types de missions confiées par ce programme aux humains ont changé, les ordinateurs devenant plus intelligents, explique un récent article du Financial Times, intitulé « Les humains derrière l’intelligence artificielle du Turc Mécanique ». Si les missions gardent une chose en commun – elles sont difficiles pour les robots, mais relativement faciles pour les humains -, maintenant les « travailleurs du nuage humain » contribuent à former les ordinateurs pour qu’ils améliorent leurs propres capacités d’intelligence artificielle, leur permettant de ressembler alors encore plus à des humains. Avec la montée de l’intelligence artificielle et en particulier de l’apprentissage automatique (machine learning), permettant aux machines d’apprendre elles-mêmes à reconnaître les modèles en analysant les données qu’elles reçoivent, la tâche des formateurs est devenue encore plus importante.

Par exemple, l’une des missions de M. Bhatia, un Turker qu’évoque l’article du Financial Times, est d’identifier des « pins » pour le service Pinterest. On lui montre une photo – ou « pin » – et ensuite il doit choisir d’autres photos qui lui sont semblables, ce qui permet à l’intelligence artificielle de Pinterest de mieux prédire les « pins » qu’un utilisateur aimera. « Nous sommes l’intelligence derrière l’intelligence artificielle », explique M. Bhatia avec une pointe de fierté, rappelant en cela les humains derrière les chatbots. « Je suis heureux d’être une partie de celle-ci, [même si je suis] juste un petit rouage dans l’ensemble de la roue ».

Panos Ipeirotis, professeur associé à la Stern School of Business de l’université de New York, explique que depuis le lancement du service en 2005, il est plus facile pour les ordinateurs d’identifier des images, lire un texte et même écrire des phrases. Les projets d’intelligence artificielle vont même bien plus loin, puisque une chanson a été composée par une intelligence artificielle, la reconnaissance vocale de Microsoft rivalise avec des humains, une intelligence artificielle peut dire si une plainte est recevable devant la Cour européenne des droits de l’Homme. « Nous avons plus de tâches avec l’IA, nous avons donc besoin de plus d’humains pour vérifier la production », dit Panos Ipeirotis. Il rajoute : «Avant c’était les humains qui écrivaient la légende d’une image. Maintenant ce sont les robots qui écrivent les légendes et les humains qui vérifient les légendes ». Cette fonction de formation est facilitée par le fait que de nombreux travailleurs du Mechanical Turk d’Amazon ont un haut niveau d’éducation. Une récente étude du Pew Research Center a montré que la moitié des Turkers avaient un diplôme universitaire, alors qu’un tiers de la main d’œuvre des Etats-Unis en a un (3000 Turkers ont été interviewés). Paul Hitlin, chercheur senior au Pew Research Center, explique : « Habituellement nous nous attendons à ce que les emplois les moins bien payés attirent les travailleurs les moins diplômés. Mais ce que nous avons trouvé ici c’est que les Turkers tendent à être plus diplômés que le reste de la population qui travaille ».

« Amazon nous vend comme un algorithme », dit Kristy Milland, qui travaille sur la plateforme depuis 2010 et gère un forum en ligne pour Turkers. « Nous ne sommes même pas une intelligence humaine réelle, nous sommes une fausse fausse intelligence, ce qui est offensant ». Et être la main invisible dans la machine a ses inconvénients. Les forums sont remplis de plaintes de travailleurs sur les difficultés qu’ils ont à communiquer avec les commanditaires des tâches qu’ils doivent exécuter. « Quand vous ne pouvez pas communiquer… vous perdez l’empathie, et quand vous perdez l’empathie, les gens sont dévalués », dit plus loin Kristy Milland. C’est pourquoi elle souhaite mettre en place une plateforme coopérative, qui appartiendra aux travailleurs et qui leur permettra ainsi de travailler dans de meilleures conditions. « C’est le seul moyen d’espérer faire la différence ».

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