Management, les basiques ne sont pas si simples…

Souvent proposé comme un modèle de la gestion des ressources humaines (via son département « People Analytics »), Google demeure pourtant laconique sur son fonctionnement interne. Cet été cependant, sur son blog dédié au travail, Google a publié une série de documents utilisés par ses managers, rapporte Quartz. Au menu, vous y trouverez un questionnaire d’évaluation des managers (sur la base de 13 questions posées tous les 6 mois aux employés et les réponses sont renvoyés aux managers agrégées et anonymisées), un questionnaire d’évaluation de carrière, une définition d’un objectif simple et partagé pour encourager le bien-être de chacun (du type, je ne lis pas d’email le week-end…) ; un modèle d’organisation de réunion et enfin des cours pour apprendre à devenir managers.

Raffaella Sadun pour la Harvard Business Review s’étonne de la grande simplicité de ces outils. En fait, bien que basiques et fondamentales, il est très difficile d’établir ces pratiques de manière cohérente dans les entreprises. Dans une étude transversale sur les pratiques de managements de 12 000 entreprises provenant de plusieurs pays (cf. « pourquoi on sous-évalue le management compétent »), elle rappelle combien la pratique de la définition d’objectif ou la gestion de l’évolution de carrière sont encore fort peu pratiquées. Pire, la plupart des organisations n’ont pas toujours conscience d’avoir besoin de meilleurs processus de management. Rien que la normalisation des entretiens individuels est encore bien souvent vue comme une méthode excessivement bureaucratique par la plupart des employés… En fait, les fondamentaux du management ne sont pas si simples à mettre en place et copier les pratiques de Google, « vous asseoir et vous attendre à avoir le même succès » ne suffira pas à le faire advenir. Pourtant, l’adoption de pratique de management simple permet souvent aux entreprises de faire d’énormes progrès en terme de profit, de croissance ou de productivité. Faire que tout le monde adhère à des process communs permet de mieux se concentrer sur les résultats, et cela passe parfois par des choses très simples, comme une liste de contrôle, à l’image de celle mise au point par le chirurgien Atul Gawande pour réduire les erreurs dans la salle d’opération. Pour Sundar Pichai, PDG de Google, « les pratiques de management sont un élément essentiel de la construction de la culture d’entreprise ».

Des fondamentaux qui semblent encore bien loin d’un management conduit par les données. Comme le constatent plusieurs consultants dans un autre article de la Harvard Business Review, force est de constater que l’analyse de données peine à s’imposer dans le management, et ce alors que de nombreux projets de transformations managériales n’atteignent pas leurs objectifs. Les auteurs constatent d’ailleurs que bien peu de méthodes de transformations managériales, même parmi les plus à la mode, s’appuient sur les données, notamment parce que le management doit composer avec le comportement humain et que la culture d’entreprise, le leadership et la motivation ne se prêtent pas facilement à l’analyse empirique ni à la production d’indicateurs. En fait, soulignent-ils, la transformation managériale est plus le fait d’artisans que de scientifiques. Et le manque d’indicateurs encourage le manque d’investissements dans le changement. Bien sûr, Michael Tushman, Anna Kahn, Mary Elizabeth Porray et Andy Binns n’en restent pas à un constat d’échec. Dans un autre article, ils tentent de montrer que des solutions s’esquissent. Chez Ernst & Young, où travaillent certains des auteurs, en utilisant Microsoft Workplace Analytics, ils ont utilisé pour des clients les échanges e-mails et les données des agendas des employés pour identifier qui est engagé avec qui, quelles parties des organisations étaient sous stress et quels individus sont les plus à même de tisser des ponts entre les différents services de l’entreprise. Le système leur a permis de mettre en place une sorte de surveillance en temps réel pour voir où agir, où améliorer les procédures. Reste que l’analyse des données ne fait pas tout, soulignent-ils en conclusion. Si elle permet peut-être de devancer les problèmes ou d’accélérer les réponses, il y aura toujours besoin de professionnels pour interpréter les données et améliorer les processus. Dans le temps long du management et des comportements, force est de constater que l’accélération que permet l’analyse des données peine à fournir une réponse pleinement satisfaisante à la problématique. C’est peut-être pour cela que ce que nous pourrions appeler le « management automatisé » a encore du mal à s’imposer.

Enfin, pas partout. Si dans l’entreprise, l’automatisation du management reste difficile, ce n’est absolument pas le cas du recrutement, qui lui semble de plus en plus automatisé. Notamment via le recours à des myriades de tests de personnalité toujours plus sophistiqués, quand bien même ils semblent aussi scientifiques que la graphologie ou que l’astrologie d’antan. A l’image du jeu vidéo Scoutible, où une intelligence artificielle évalue les futures performances d’un candidat ou Dotin.us qui évalue les personnalités des candidats selon ce qu’ils partagent sur les réseaux sociaux. Voire la panoplie d’outils automatisés auquel recours Unilever que détaillait Usbek & Rica récemment… On est là face à une différence de traitement entre l’externe et l’interne qui interroge et qui mériterait d’ailleurs un peu plus de recul. Assurément, on se permet dans le recrutement d’utiliser des outils qui seraient largement rejetés s’ils étaient utilisés pour le management des salariés.

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