Howard Rheingold présente Smart Mobs

Dans le cadre des conférences Hypernetwork 2003 qui se sont déroulées à Oita au Japon fin août 2003, Howard Rheigold a expliqué à son auditoire ce qu’était pour lui les Smart Mobs. Daniel Kaplan nous traduit et nous guide dans sa présentation.

Dans le cadre de l’Hypernetwork 2003 – Beppu Bay Conference, Oita, Japon, 29 août 2003.
Propos recueillis par Daniel Kaplan, Fing

Sommaire
Qui est Howard Rheingold ?
Howard Rheingold présente Smart Mobs
Smart Mobs fait déjà débat en France
A propos de l’Institute for Hypernetwork Society
A propos de GloCom

Voir aussi la préface de Daniel Kaplan à l’édition française de Smart Mobs

Qui est Howard Rheingold ?
Weblog permanent : http://www.smartmobs.com
Site personnel de Howard Rheingold : http://www.rheingold.com

Howard Rheingold
Howard Rheingold à Tokyo, août 2003 (photo : Izumi Aizu)

Après s’être intéressé au potentiel inexploré du cerveau, Howard Rheingold a croisé la technologie au début des années 1980. Il est très vite devenu l’un des animateurs les plus actifs de la communauté électronique « The Well ». Ses ouvrages Réalité virtuelle (1991) et La communauté virtuelle (1993) en font une célébrité.
Son dernier livre, Smart Mobs, vient d’être traduit en Japonais.

Howard Rheingold présente Smart Mobs
Traduction de la présentation (http://www.glocom.org/debates/20030828_rheingold_smart/), enrichie de notes personnelles prises pendant la présentation :

« Les smart mobs émergent quand les moyens de communication et les contrats sociaux s’associent pour amplifier la coopération. Les smart mobs ont des impacts à la fois bénéfiques et destructeurs : comme tous les moyens de communication puissants. C’est précisément pourquoi il est intéressant d’y penser maintenant : les smart mobs en sont au niveau de développement des PC en 1980 et de l’Internet en 1990.

La prochaine vague est déjà sur nous
Le microprocesseur et l’écran de télévision n’ont pas produit un super-calculateur à écran, mais des ordinateurs personnels que des personnes qui n’avaient encore jamais utilisé d’ordinateur utilisaient pour faire des choses que les ordinateurs n’avaient encore jamais faites. L’ordinateur personnel, raccordé au réseau de télécommunications, n’a pas seulement permis aux ordinateurs de se parler, mais a conduit à l’Internet, un méta-medium avec des propriétés nouvelles.
Chaque étape se fonde sur la précédente. La prochaine vague, la fusion de l’ordinateur, du téléphone mobile et de l’Internet, ne ressemblera pas à l’Internet tel que nous l’avons connu, accessible par le téléphone tel que nous l’avons connu. Le tout est plus que la somme des parties : l’hybridation de certains moyens de communication leur confère une vigueur nouvelle.

Les caractéristiques uniques des médias en réseau
Ce sont des moyens de communication « de beaucoup à beaucoup » (many to many) : chaque bureau (et désormais chaque poche) est une imprimerie, une station de télévision, un espace social, une place de marché. Le pouvoir de l’Internet s’éloigne du PC ; des personnes qui n’auront jamais les moyens de posséder un PC disposent d’un mobile (ou le partagent). C’est une des raisons pour lesquelles cette vague aura des effets plus larges et plus profonds que l’Internet actuel.
Les moyens de communication en ligne donnent naissance à de nouveaux réseaux et amplifient ceux qui existent déjà. Les architectures ouvertes ont fait du PC et de l’Internet des plate-formes pour l’innovation à la base, où les utilisateurs ont inventé des usages nouveaux que les concepteurs n’avaient jamais imaginés. La plupart des innovations, le moteur de recherche, etc. – ont été inventées par les utilisateurs.

La communication mobile et ambiante
Les moyens de communication mobiles et omniprésents (pervasive) sont toujours connectés et accessibles partout. Ces dispositifs exploitent les ressources du monde numérique pour organiser des actions collectives dans le monde physique.
Les dispositifs de communication se transforment également en une sorte de télécommande, qui connecte les mondes virtuel et réel. Dans le même temps, ces moyens de communication posent des questions nouvelles en termes de liberté, de vie privée, de stabilité sociale – ou encore d’égalité : certes le prix des appareils décroît, mais la fracture sépare ceux qui savent et ne savent pas s’en servir.

L’ère des objets sensibles
Les réseaux de capteurs et d’appareils intelligents (smartifacts) vont saturer les lieux et les objets en information et en capacités de traitement et de communication. Des milliards d’appareils seront capables de se mettre en réseau tous seuls (à supposer que nous ayons le droit de lire et écrire nous-mêmes depuis et sur ces senseurs). Des puces mesurant 1/5e de millimètre et coûtant 0,25 euros, existent déjà sous forme de prototype.
Les appareils mobiles que nous porterons sur nous joueront un rôle de médiateurs – mais qui contrôlera l’échange d’informations personnelles ?
Ces appareils sauront où ils sont situés. L’information associée aux lieux donne naissance à une nouvelle sphère où de vastes bases de données d’informations et d’opinions relatives aux lieux se superposent au monde physique. Les villes changent d’ores et déjà. De nouvelles structures sociales, politiques et de marché vont émerger.

Comprendre l’infrastructure sociale
Mais ce qui est plus important, ce n’est pas le matériel, ni le logiciel, mais les pratiques sociales. Les utilisateurs mettront avant tout ces technologies à profit pour organiser des actions collectives.
L’histoire des sociétés humaines est celle d’un progrès tiré par l’action collective. Elle peut être amplifiée par les technologies de communication et les contrats sociaux : la démocratie, la science, la bourse… sont des formes d’action collective rendues possibles par l’alphabétisation, l’imprimerie et les nouveaux médias d’il y a 500 ans : la monnaie et les accords bancaires.
C’est pourquoi le rôle de l’informatique et de l’Internet comme facteurs d’action collective a des chances d’être le plus important de tous.
Mais l’action collective se situe toujours dans une tension entre l’appropriation individuelle et le partage : voir la fameuse « tragédie des communs », où le jeu des intérêts personnels conduit au désastre collectif.
Les technologies émergentes permettront-elles de mettre en œuvre des formes de coopération à grande échelle, durables, pour dépasser ce conflit ?
La différence entre la « tragédie des communs » et les « biens communs de l’innovation », où l’innovation individuelle crée de la connaissance et de la richesse pour tous, réside dans l’architecture technique, logicielle, contractuelle et légale des réseaux – mais elle reste mal comprise. L’architecture de bout en bout de l’Internet, la création de logiciels libres, Napster et Seti@home, eBay, les weblogs… utilisent l’informatique et les réseaux pour multiplier l’impact de l’action collective. La réputation, sorte de devise de la confiance, joue un rôle de lubrifiant de la coopération.

Le pouvoir de la coopération
La coopération, la communication sociale et le logiciel libre ont créé l’Internet ; le web a été créé de manière collective avant que quiconque n’imagine gagner de l’argent grâce à lui. Au moment même où l’économie des « .com » souffre, les blogs et les technologies de la coopération connaissent un formidable essor : Linux, le P2P, l’informatique distribuée (grid, etc.), Wi-Fi, les blogs et leurs réseaux, les sites web auto-organisés, eBay…

Des indicateurs avancés
Les flashmobs et les moblogs sont les premiers signes de l’existence d’esprits collectifs ad hoc, plus ou moins éphémères, dans le monde physique. Le développement du Wi-Fi, des réseaux radio logiciels (software-defined radio), des réseaux ad hoc et de proche en proche (mesh networks), démontrent le pouvoir des actions collectives dans le domaine de l’exploitation de la régulation du spectre électromagnétique. Aux Philippines, des manifestations politiques auto-organisées par les citoyens, à l’aide des minimessages sur leurs mobiles, ont conduit à la chute du régime Estrada. En Corée, les cyber-militants ont exploité le web, le courriel et le SMS pour faire pencher la balance en faveur du président Roh dans les toutes dernières heures de l’élection. Aux Etats-Unis enfin, la campagne présidentielle de Howard Dean a démontré le pouvoir des réseaux auto-organisés à la base, grâce à des sites d’organisation de manifestations tels que meetup.com, des weblogs et de la collecte de fonds en ligne.

Un enjeu majeur : serons-nous des utilisateurs ou des consommateurs ?
Demain, la population se composera-t-elle d’utilisateurs, qui seront libres de s’approprier de manière active et de transformer leurs moyens de communication, ou bien de consommateurs, contraints par la loi et la technologie de consommer passivement ce qui leur est diffusé ? La tragédie des « anti-communs » tuera-t-elle l’innovation ? La gestion des droits numériques, la réglementation archaïque du spectre contrôlée par les actuels détenteurs de licences, la privatisation du domaine public et les tentatives incessantes d’extension de la propriété intellectuelle, l’informatique « de confiance » rendue obligatoire par la loi et mise en œuvre au cœur des matériels… pourraient empêcher le Bill Gates ou le Tim Berners-Lee du futur de dominer un nouveau secteur économique ou de distribuer gratuitement de nouveaux outils de communication. »

Smart Mobs fait déjà débat en France
Avant même sa traduction (note aux éditeurs : les droits sont toujours disponibles !), la blogosphère bruit des interprétations de l’ouvrage d’Howard Rheingold. Sa discrète venue à Paris en mai 2003 a au moins permis à plusieurs comptes-rendus de lecture de se mettre à circuler et de s’ouvrir à la discussion.

Comment traduire Smart Mobs ?
Extrait d’un commentaire par ailleurs plutôt caustique d’Isabelle Vodjdani (http://www.transactiv-exe.org/article.php3?id_article=19) :
« Faut-il traduire le titre par intelligences mobiles, foules mobiles, puces mobiles ou mobiles malins ? On peut supposer que la traduction actuelle du titre, telle qu’elle circule en français, cherche surtout à reconnaître dans cet ouvrage un prolongement à « Communautés virtuelles ». Mais les SmartMobs ne concernent pas seulement les connexions inter-humaines. Ils permettent aussi d’envisager des connexions inter-objets, inter-lieux, et inter-catégories (lieu, objet, humain). »
« Une ‘foule intelligente’ n’agit pas nécessairement judicieusement », interview par Chantal Dussuel pour Transfert : http://www.transfert.net/a9068
Quelques autres citations
Jean-Luc Raymond, compte-rendu de la conférence à la Sorbonne  : http://mediatic.blogspot.com/2003_05_01_mediatic_archive.html
Christophe Ducamp : http://wiki.crao.net/index.php/HowardRheingold
Roland Piquepaille : http://radio.weblogs.com/0105910/categories/sidebars/2003/05/21.html

A propos de l’Institute for Hypernetwork Society
http://www.hyper.or.jp

La mission de l’IHN, créé il y a 10 ans, est de « penser l’environnement social, humain de la société de l’information et son intégration harmonieuse ».
L’institut est installé à Oita, capitale de la Préfecture (région) du même nom, dans l’île de Kyushu au sud du Japon.
Ses travaux, financés par les autorités locales et les entreprises, sont principalement de quatre ordres :
· Aider les collectivités à définir, voire installer leurs infrastructures de communication à haut débit ;
· Gérer un centre d’appel gratuit, accessible à tous les habitants de la Préfecture pour les assister sur tous les sujets touchant à l’informatique et aux réseaux : problèmes techniques, installation, usages, etc.
· Réaliser des études publiques ou privées à la lisière entre les sciences sociales et la technologie, en ayant notamment recours aux ressources de l’institut GloCom à Tokyo ;
· Organiser la conférence annuelle sur les réseaux communautaires (Hypernetwork Beppu Bay Conference) – qui serait cependant menacée de financements.

A Propos de GloCom
http://www.glocom.ac.jp

Créé en 1991, le Centre pour les communications globales (GloCom) est un centre de recherche associé à l’université internationale du Japon. Sa vocation est « d’étudier la société de l’information et la société japonaise dans la perspective de la théorie des systèmes sociaux et de l’étude comparative des civilisations »
GloCom mène des projets de recherche en « info-socionomie » (étude de la société de l’information, que l’organisme veut ériger en discipline à part entière) et dans le domaine des politiques relatives à la société de l’information  ; sensibilise les décideurs publics et privés aux enjeux de la société de l’information, tout en assurant la promotion du Japon auprès de l’étranger ; formule des propositions de politiques publiques ou intervient dans des cadres internationaux tels que l’ICANN et le Sommet mondial de la société de l’information (SMSI) ; mène des projets concrets sur le terrain, notamment dans le domaine de la « gestion des connaissances sociales » et des communautés virtuelles.
GloCom est financé par le gouvernement japonais ainsi que par des entreprises pour lesquelles il mène des projets. Il emploie 37 personnes.
GloCom est à l’origine de la création de l’Institute for HyperNetwork Society, qui anime la dynamique des réseaux communautaires de la préfecture d’Oita.

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