Big Data is algorithming you – Article 11

Superbe interview d’Antoinette Rouvroy pour Article 11 sur les enjeux des Big Data et des algorithmes : 

« Le réel numérisé peut en effet sembler être le réel lui-même. Comme il n’y a plus de sélection de données par des acteurs humains, donc faillibles, on a l’impression d’une très grand objectivité. La totalité des données étant actualisée en temps réel, le monde numérisé paraît reproduction exacte du monde. La notion de médiation, de représentation en fait les frais, comme pour consacrer le mythe de l’accès immédiat au réel tel qu’il est. »

Il y a un risque de confondre le réel avec le réel numérisé ?

« Oui, parce que ce processus présente des aspects extrêmement performatifs. Ce qui n’est pas numérisé ou numérisable, que ce soit la détresse humaine ou des circonstances particulières, ce qui ne rentre pas dans les cases, n’a plus voix au chapitre. Cette évolution, qui paraît très objective, est en fait profondément injuste : on sait très bien que la totalité du réel n’est pas mise en nombres.

Cette impression de repli de la réalité à l’intérieur de la réalité numérisée, cette totalisation – c’est presque un régime totalitaire numérique –, risque de faire disparaître la distinction entre le monde et sa représentation, et donc la possibilité même de la critique. On peut critiquer la représentation, comme on critiquait les anciens objets statistiques, qui n’étaient pas assez représentatifs ou mal construits. Tandis que le réel numérisé va à rebours de l’idée que le savoir est toujours construit, et donc critiquable en fonction des conditions de sa construction. Si ce n’est plus construit, ce n’est plus critiquable. C’est un enjeu fondamental. »

(…)

« Le droit est complètement à côté de la plaque ! Il faut bien sûr continuer à protéger les données à caractère personnel. Mais on rate un large pan de la problématique actuelle si on en reste là. C’est-à-dire qu’on fait alors l’impasse sur tout ce qui a trait au profilage, à la personnalisation, à l’hypertrophie de la sphère privée, à la paupérisation de l’espace public et à la prédation par des sociétés privées des espaces eux-mêmes privés des internautes.

Cet acharnement à camper sur la protection des données à caractère personnel est curieux, voire suspect. Une cécité pareille ne peut être que volontaire. L’objectif serait-il raté à dessein ?

Quoi qu’il en soit, ce processus est éminemment révélateur. Nous sommes tellement imprégnés d’une culture individualiste que nous sommes incapables de voir ce qui se joue au-delà de la question des données à caractère personnel. Cet aveuglement va de pair avec un mépris pour le commun, pour l’espace public et pour le débat public. »

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