La pension des serfs – New Inquiry

Sur The New Inquiry, l’artiste critique Jason Huff revient sur les utilisateurs des plateformes de crowdsourcing comme le Mechanical Turk d’Amazon. En 2009, il avait mené une enquête sur les utilisateurs du Turc d’Amazon en leur proposant pour 25 cents d’écrire 250 mots pour raconter qui ils étaient et ce qui les avait amené à utiliser cette plateforme, autant de propos qu’il avait compilé sur un Tumblr dédié. Si en 2009, le Turc mécanique d’Amazon semblait majoritairement un outil de résistance à la crise pour les Américains les plus défavorisés : maman célibataires, jeunes sans emplois, retraités en difficulté… Son analyse montrait combien le système mis en place par Amazon mettait les Turcs d’Amazon en situation désavantageuses par rapport aux demandes, ne leur accordant par exemple aucun recours quand l’employeur ne payait finalement pas la tâche demandée. Ce qui avait amené la chercheuse Lilly Irani par exemple a développer le plug-in Turkopticon, pour leur permettre d’évaluer les donneurs d’ordre du service. En 2009, le turc mécanique ressemblait plus à un atelier de la misère américaine, une nouvelle forme d’exploitation qu’à autre chose.

Alors que pour le journaliste Fred Howe, inventeur du terme de crowdsourcing, l’idée était que l’externalisation ouverte allait permettre à de nouvelles communautés de voir le jour et de s’organiser, force est de constater que l’anonymat des travailleurs et leur stricte séparation ne l’a pas permis, et n’a contribué qu’au renforcement de leur isolement. Plus qu’un outil d’autonomie, ces plateformes ont plutôt été des outils d’asservissement. D’ailleurs, Lukas Biewald, PDG de Crowdflower, un concurrent du Mechanical Turk, exprimait clairement que tout l’avantage de ce type de systèmes pour les donneurs d’ordre était d’avoir recours à la plus grande flexibilité possible.

Jason Huff a renouvelé son enquête cette année pour voir si le public qui utilisait ce service avait évolué. Tout d’abord, il a noté que le service avait lui-même évolué, permettant de distinguer les “travailleurs qualifiés” du Turc mécanique des autres, permettant de mieux lutter contre l’escroquerie, de mieux sélectionner les contributeurs, mais aussi imposant une hiérarchie entre eux sur des critères qu’ils ne maîtrisent pas forcément. Les résultats de son enquête confirme celle de Panos Ipeirotis montrant que si en 2008, 60 % des utilisateurs étaient âgés de 21 à 40 ans et étaient principalement des femmes, dont 13 % venaient d’en-dehors des Etats-Unis, ce n’était plus du tout le cas 2 ans plus tard (la part d’Américains étant tombé en-dessous de 50 %, tandis que les travailleurs en provenance d’Inde avaient augmenté de 34 %).

Mais la mondialisation des usages de ces plateformes ne semble pas être le seul changement. Pour obtenir des réponses, Jason Huff a du payer 1$ la contribution et non plus 25 cents. Pour plusieurs contributeurs, l’usage des plateformes de ce type sont devenus une source de revenu principale, non seulement pour des travailleurs provenant des pays en développement, mais également pour des Américains, estime-t-il en évoquant l’histoire d’une femme qui utilise TaskRabbit comme principale source de revenus. Mais la concurrence entre les “Turcs” est devenue plus forte et il faut désormais avoir fait ses preuves pour être employé et recommandé. La gestion de sa réputation est devenue un passage obligé. Les “Turcs” ne sont plus indifféremment interchangeables. Dans la précarité aussi, l’évaluation s’est immiscée.

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