Courrier international (@courrierinter) a eu la bonne idée de traduire l’excellent article de Max Read (@max_read) pour le New York Magazine (@NYMag) qui montre comment FB échappe à son créateur. A l’heure où FB est sommé de s’expliquer devant le Congrès américain sur les ingérences publicitaires russes dans l’élection de Donald Trump, Read décortique les publications de Mark Zuckerberg où il a présenté les enjeux de FB pour mieux en souligner les contradictions. Ainsi, remarque-t-il, quand Zuckerberg annonce qu’il va rendre les publicités politiques plus transparentes, l’entreprise présente ses nouveaux outils marketing permettant de cibler les utilisateurs de FB passant en magasin pour mieux les harceler de publicités.
Read pointe une à une les contradictions de l’ogre FB, qui assure, désormais, comme le ferait un État ou une Organisation non gouvernementale, « veiller à garantir l’intégrité des élections ». John Lanchester pour la London Review of Books (LRB) rappelait très bien dans un article au vitriol, que derrière les belles annonces promotionnelles visant à « connecter le monde entier », FB était d’abord conçu pour récupérer des données sur les utilisateurs et les vendre à des annonceurs. Pour Lanchester, Facebook est « sans boussole morale ».
Pour Read, la tournée de Zuckerberg à travers les États-Unis ressemble plus à une introspection qu’à une précampagne présidentielle : elle reflète plus les hésitations de Zuckerberg face au fléau des Fake News et à la démultiplication des dénonciations de l’inaction de FB face aux problèmes qui minent le réseau social. L’un des rares engagements de FB pour contrer la désinformation, à savoir le lancement d’un outil de vérification des faits, lancé en mars 2017 à titre expérimental avec des médias, présenté comme une arme décisive dans cette lutte, se révèle inutile. C’est en tout cas ce que souligne une étude de l’université de Yale, relayée par Policito qui montre que pour les utilisateurs, tout ce qui ne serait pas tagué comme fausse information serait par défaut véridique. Pas sûr que ce soit une solution pour améliorer le discernement effectivement (voir « Bulle de filtre et désinformation : Facebook, une entreprise politique ? » et « Peut-on répondre à la désinformation ? »).
L’échec de cette tentative d’autorégulation, redonne de la valeur au fait d’agir sur le modèle économique même de FB pour remédier au problème, comme le soulignait Quartz.
L’enquête du Congrès en tout cas change la donne. Non pas que les 100 000 dollars de publicités achetés par le gouvernement russe aient vraiment pu changer la donne (cela aurait été circonscrit à 3000 annonces ayant touché environ 10 millions d’Américains – bien moins que les millions de dollars dépensés par les candidats Américains eux-mêmes en publicité sur les réseaux sociaux), mais elles montrent que l’autorégulation dont se glorifiait FB ne fonctionne pas. Read rappelle que FB a d’abord nié avoir vendu de la publicité aux Russes, avant de le reconnaître, puis de dire au Congrès qu’il ne pouvait pas révéler plus d’information, avant d’obtempérer et de livrer des données face à la menace d’un mandat de perquisition. Pour Tim Wu (@superwuster), professeur de droit à l’université de Columbia et auteur des Marchands d’attention, la solution est d’obliger FB à lever le voile sur ses pratiques publicitaires et d’interdire l’achat de publicité à caractère politique par un gouvernement étranger. Au Congrès, les démocrates souhaitent que les publicités en ligne soient désormais encadrées. D’autres aimeraient même imaginer un démantèlement sur le modèle de Bell, sans savoir très bien comment diviser l’empire FB. Ce qui est sûr, souligne Tim Wu, c’est que FB profite d’un environnement très très peu réglementé.
Et Read de conclure en rappelant un épisode assez oublié de FB : celui où, entre 2009 et 2012, les internautes pouvaient voter pour faire évoluer la politique du site. Peu le faisaient, le système favorisait plutôt la quantité que la qualité des contributions… ce qui explique que FB l’a donc abandonné. Reste que c’était peut-être encore une époque où FB était à l’écoute de ses utilisateurs. « FB était devenu trop grand, et ses membres trop complaisants, pour la démocratie », conclut Max Read.
En attendant, devant la commission du Congrès, FB a concédé qu’elle devait faire des efforts pour mieux identifier les annonceurs, ses vrais clients, ceux dont nous sommes le produit, rapporte Le Monde.
Image : Buzzfeed vient de publier une infographie montrant comment FB divisait ses utilisateurs Américains en 14 segments politiques issus de 5 grandes tendances, pour les proposer aux annonceurs politiques (une segmentation qui ne serait plus disponible aux annonceurs actuellement, mais qui l’a été durant la campagne présidentielle américaine).
MAJ : Le New York Times, quant à lui, a invité plusieurs experts à donner leur avis sur comment réparer FB. Pour Jonathan Albright, directeur de la recherche du Tow Center for Digital Journalism de l’université de Columbia, FB ne devrait pas prioriser les réactions dans le fil d’information et limiter la recommandation émotionnelle. Pour Eli Pariser, l’auteur de la Bulle de filtre, Fb devrait s’ouvrir aux chercheurs et changer ses critères de mesure pour mieux prendre en compte l’impact de l’information sur le temps long. Ellen Pao de Reddit, elle invite les dirigeants de FB à introduire de la diversité dans son équipe et à se doter de principes d’ordre journalistique. Quant à Tim Wu, il invite FB à devenir une ONG.