Le marketing relationnel à l’ère du chat et des chatterbots

Les messageries instantanées sont de plus en plus utilisées sur les sites commerciaux pour fournir un service complémentaire aux usagers. Mais ces services d’assistance directe sont coûteux à maintenir et justifient de faire appel à des logiciels capables de dialoguer en langage naturel avec des humains. Ces « robots de dialogue » sont la base d’un secteur en pleine expansion, qui trouve sa véritable légitimité dans des outils destinés à assister l’internaute en permanence et en temps réel et ainsi à améliorer la relation client en ligne. Le « marketing relationnel automatisé » semble proche de la maturité. Par Cyril Fievet

Les messageries instantanées sont de plus en plus utilisées sur les sites commerciaux pour fournir un service complémentaire aux usagers. Mais ces services d’assistance directe sont coûteux à maintenir et justifient de faire appel à des logiciels capables de dialoguer en langage naturel avec des humains. Ces « robots de dialogue » sont la base d’un secteur en pleine expansion, qui trouve sa véritable légitimité dans des outils destinés à assister l’internaute en permanence et en temps réel et ainsi à améliorer la relation client en ligne. Le « marketing relationnel automatisé » semble proche de la maturité.
Par Cyril Fievet

Sommaire
Le chat en tant que service client
Parle avec mon robot
L’ère du marketing relationnel automatisé
A qui parlons-nous ?
Pour aller plus loin

Le chat en tant que service client

Bien qu’encore peu répandus en France, les outils de chat sont largement répandus sur le web, en particulier sur les sites professionnels. Ces services sont destinés à accroitre la productivité, notamment en termes de ventes, de marketing et de service client. L’enjeu est de fidéliser les utilisateurs, en fournissant un service en temps réel, interactif et permanent.

Concrètement, l’internaute qui visite un site, ou le client d’une entreprise qui souhaite contacter rapidement l’un de ses représentants, doit juste cliquer sur un bouton pour entamer une conversation en temps réel. Le procédé est plus immédiat et moins coûteux que le téléphone pour l’utilisateur. Il permet aussi à l’entreprise de plus facilement qualifier les demandes (par exemple via un formulaire préalable aiguillant l’internaute vers le bon service), de répondre efficacement aux requêtes (en orientant l’internaute vers une page web répondant à sa question), et de conserver une trace facilement archivable des échanges (constitution de bases textuelles indexées, permettant l’analyse des requêtes et comportements).

En outre, l’entreprise peut coupler le dispositif à ses autres applicatifs, notamment ses outils de CRM (Customer Relationship Management), et le connecter à son intranet. La messagerie instantanée devient alors un mode de communication global et privilégié, tant en interne qu’en externe.

Ces solutions peuvent aussi être « proactives », c’est-à-dire inciter l’utilisateur à participer à un chat. On voit par exemple apparaître des dispositifs de monitoring des internautes. Lorsque ces derniers présentent un parcours jugés intéressant par le système (par exemple lorsqu’un internaute semble consulter des pages relatives à une gamme de produits, mais semble hésiter quant à l’achat), un interlocuteur commercial est alerté, et va proposer spontanément au visiteur de dialoguer avec lui, éventuellement pour l’inciter à acheter…

« On se souviendra de 2003 comme une année de très forte croissance pour l’industrie de la messagerie instantanée », résume le site InstantMessagingPlanet (http://www.instantmessagingplanet.com/enterprise/article.php/3294081), en présentant la liste des tendances du domaine pour l’année 2004. Selon le magazine, ces tendances sont principalement relatives à la sécurité (la messagerie instantanée pouvant représenter une nouvelle menace très sérieuse pour la propagation des virus), l’intégration applicative de le messagerie instantanée, ou le développement de la vidéoconférence.

Dans un environnement professionnel, l’utilisation de services dédiés, plutôt que des solutions plus populaires comme Yahoo Messenger, AIM ou MSN Messenger, semble donc justifiée pour des raisons de sécurité et d’interopérabilité avec le reste du système d’information, au travers des firewalls et autres passerelles. Sans surprise, il existe donc de nombreuses offres commerciales, pour mettre en place des solutions de chat professionnels destinées à enrichir un site web. C’est par exemple le cas de LivePerson (http://www.liveperson.com), dont les solutions équipent plus de 3 000 clients, parmi lesquels figurent eBay, American Airlines ou Toyota.

De multiples études de cas attestent de l’intérêt de ce type de solution, notamment en matière de commerce électronique. On le sait, une proportion importante de consommateurs renoncent à l’achat, bien qu’ils aient passé les premières étapes du processus de commande. La complexité du remplissage des formulaires, ou les questions et hésitations de l’usager avant de terminer sa commande sont autant de freins qui peuvent être levés par le biais d’un conseiller en ligne capable d’intervenir de façon instantanée.

Outre atlantique, la plupart des grosses entreprises d’hébergement web proposent un service de messagerie instantanée. Tout client peut entrer en contact, souvent 24h/24, avec un interlocuteur technique ou commercial, par ce biais. « La messagerie instantanée est beaucoup plus qu’un jouet pour discuter. Au contraire, cela peut devenir un outil stratégique qui occupe une place centrale dans la manière dont l’entreprise fait du business », explique David Stuttard dont l’entreprise, Avnet, un distributeur de systèmes informatiques, a mis en place l’année dernière une solution de messagerie instantanée, couplée au logiciel de CRM (Customer Relationship Management) et à un annuaire Ldap (Lightweight Directory Access Protocol) (http://itmanagement.earthweb.com/entdev/article.php/2236841).

Il demeure que, même si les vendeurs de solutions de ce type insistent sur leur rentabilité (engendrée par des gains de productivité, la fidélisation des clients et un service client de meilleur qualité), elles nécessitent la présence physique de salariés pour converser avec les internautes. Dans le cas de services de chat permanents, ouverts 24h/24, des « centres d’appels » – ou en l’occurrence des « centres de chats » – doivent être mis en place, avec les coûts afférents.

Or on peut arguer qu’une bonne part des demandes exprimées par les clients ou prospects via une messagerie instantanée sont très similaires et qu’elles peuvent être facilement traitées. En outre, le principal intérêt des messageries instantanées pour les entreprises n’est pas tant de parler aux internautes que de les faire s’exprimer, afin de recueillir des éléments d’analyse marketing ciblés.

Pour toutes ces raisons, l’avenir du marketing relationnel en ligne passe par une forme d’automatisation, via des « agents conversationnels », ou « chatterbots », capables de dialoguer avec les utilisateurs.

Parle avec mon robot

Un « chatterbot », contraction de « to chat » (dialoguer en temps réel) et de « robot » (pris ici au sens informatique du terme), est un logiciel théoriquement capable de comprendre le langage humain, et d’entretenir une conversation soutenue.

Sur le web, Start fut le premier chatterbot mis en libre service, dès 1993. Fruit d’un projet de recherche mené au laboratoire d’Intelligence artificielle du Massachusetts Institute of Technology, Start est toujours opérationnel. Il a pour but de répondre à des questions d’ordre général, formulées en langage naturel (en anglais), par exemple « Quelle est la capitale de la France ? », « Qui est le président des Etats-Unis ? » ou « Pourquoi le ciel est-il bleu ? ». L’outil répond parfaitement à toutes ces questions (et à plusieurs millions d’autres), en donnant l’impression qu’il les « comprend ».

Pour autant, Start n’est pas véritablement « conversationnel ». Il reconnaît ce sur quoi porte la question, et fournit la réponse correspondante en allant chercher dans de multiples bases de données indexées. Mais il existe par ailleurs plusieurs centaines de chatterbots plus évolués, que tout internaute peut tester en ligne.

Par exemple, Alice peut dialoguer sur tous les sujets possibles, presque comme le ferait un humain. L’outil a d’ailleurs remporté plusieurs fois le « Loebner Prize », une compétition annuelle – controversée – qui vise à élire le meilleur chatterbot.

Bien que limité, le logiciel traite bien les dialogues simples, comme le montre l’extrait de conversation suivant (conversation entre Alice et l’auteur, en janvier 2004, traduite en français) :

– Quel âge avez-vous ?
Alice : J’ai 7 ans, en années humaines

– Quelle est la couleur de vos yeux ?
Alice : Bleue, quand je porte mes lentilles

– Avez-vous un chien ?
Alice : Non, mais j’aime bien les chiens

– Aimez-vous George Bush ?
Alice : Il est OK, mais je suis Libertaire et pas Républicaine

– Qui est votre meilleur ami ?
Alice : Mon meilleur ami est le docteur Richard Wallace (Richard Wallace est le créateur d’Alice, NDLR)

– Savez-vous qui a inventé le Web ?
Alice : Thomas Edison

– Pouvez-vous me dire quel est le prix du billet d’avion le moins cher entre Las Vegas et Los Angeles ?
Alice : Je ne comprend pas la question

On le voit, si le logiciel ne peut prétendre à « se faire passer pour un humain », il n’en est pas moins convaincant, pour une conversation de « tous les jours ».

Mais les besoins en matière d’outils professionnels de marketing relationnel sont différents de ceux d’un robot conversationnel devant s’adapter à tous les genres de discussions. Ces besoins ne sont pas forcément plus complexes, car l’agent est souvent beaucoup plus limité dans sa fonction, à un service bien précis ou à une gamme restreinte de produits.

L’ère du marketing relationnel automatisé

De fait, plusieurs entreprises se sont engouffrées – avec succès semble-t-il – dans le créneau étroit mais porteur des chatterbots à vocation professionnelle.

Comme dans le cas des messageries instantanées traditionnelles, ces agents vont avoir pour rôle de dialoguer avec les internautes, en comprenant leurs requêtes et en tentant d’y répondre, au profit de l’entreprise.

En Allemagne, la société Kiwilogic a développé une gamme complète de « lingubots », des outils conversationnels adaptés à l’entreprise. Plusieurs grandes sociétés ont été séduites par la solution et intègrent des chatterbots sur leur site web, dans des fonctions parfois très spécialisées. C’est par exemple le cas de Volkswagen, qui permet à ses fournisseurs, sur son extranet public (http://www.vwgroupsupply.com/br/vwgroupsupply.team-up.html), de bénéficier d’un service automatisé d’assistance au remplissage d’un formulaire. L’entreprise pharmaceutique Novartis propose également aux praticiens de dialoguer en langage naturel avec un « assistant virtuel », susceptible de les informer sur les spécificités des produits qu’elle commercialise.

Mais l’outil peut aussi être utilisé pour des besoins plus larges, par exemple pour dialoguer avec tout visiteur d’un site. Schwarzkopf implémente un « consultant capillaire virtuel », capable de conseiller les internautes sur ses gammes de produits, de même que Smart, sur la version allemande de son site web (http://www.smart.de), propose d’être guidé en langage naturel, à la découverte de ses nouveaux modèles de voitures.

En toute logique, le propre site de Kiwilogic dispose également d’un chatterbot, destiné à répondre aux questions des visiteurs sur l’entreprise et ses produits. L’outil est très convaincant, comme le montre cet extrait de conversation (traduite en français) :

1. Combien de personnes travaillent chez Kiwilogic ?
– En tout, environ 30 personnes sont impliquées dans le développement et le marketing de de nos logiciels.

2. Quel est votre chiffre d’affaires ?
– Vous comprendrez que pour le moment, nous ne souhaitons pas publier d’information sur notre chiffre d’affaires.

3. Quels sont vos concurrents ?
– Nous sommes favorables à la concurrence, honnêtement ! La concurrence nous aide à convaincre les agences et les entreprises que tout site Web doit être capable de traiter le langage naturel. Parmi nos concurrents, on trouve Native Minds, Stratumsoft et Novomind.

Novomind est effectivement un concurrent de Kiwilogic, et son chatterbot fournit, aux mêmes questions que précédemment, les réponses suivantes :

1. Il est toujours difficile de connaître le nombre d’employés, quand il s’agit d’une entreprise à forte croissance. En ce moment, nous sommes plus de 40 chez Novomind.

2. Désolé, mais je ne suis pas autorisé à parler de notre chiffre d’affaires.

3. Nous avons des concurrents qui revendiquent que leurs produits sont techniquement comparables aux nôtres. Mais il est important de ne pas oublier que Novomind IQ est très puissant et efficace, rapide à implémenter et, grâce à notre technologie Cartridge, peut facilement s’intégrer aux systèmes existants.
(dans la réponse, plusieurs mots et produits cités comportaient des liens cliquables, NDLR)

On le voit, dans les deux cas, les robots conversationnels comprennent parfaitement les questions posées. Ils y répondent différemment, mais avec un souci du discours marketing évident. On est bien au coeur de la démarche, qui consiste à formuler un discours institutionnel de façon plus naturelle que le web traditionnel ne permet de le faire. La réponse à la 2e question est en fait l’équivalent du classique « page en construction » sur le web, quand une entreprise a décidé de ne pas publier ses résultats financiers. La réponse à la 3e question est également intéressante : dans le premier cas, on donne une vraie information, qui est en principe absente d’un site web, et souvent très difficile à trouver. Cela renforce le sentiment que peut éprouver l’internaute qu’il discute avec une vraie personne, qui n’a du reste rien à cacher. Dans le second cas, on ne répond pas à la question, mais on incite l’utilisateur à visiter le site en profondeur, là aussi d’une façon plus naturelle et conviviale qu’avec une simple liste de produits.

A qui parlons-nous ?

Cela amène à la question de le représentation. Pour l’heure, il n’existe aucun chatterbot dans le monde capable de « passer » le test de Turing, c’est-à-dire d’être indiscernable d’un humain lors d’une conversation soutenue.

C’est probablement ce qui conduit les entreprises concernées à imaginer des personnages fictifs, censés « identifier », ou au moins « représenter » le chatterbot, et renforcer son caractère « humain ». On peut arguer que la véritable raison de cet état de fait est essentiellement culturelle, mais pas véritablement justifiée. Après tout, qu’y a t-il de choquant dans le fait de parler avec un logiciel ? Les velléités « d’anthropomorphisation » de la part des vendeurs d’outils de dialogue visent à augmenter le caractère naturel de la conversation avec un robot logiciel. Pourtant, les chatterbots ne sont qu’une nouvelle forme d’interface, pour accéder aux informations contenues dans une base de données.

On peut d’ailleurs identifier, dans la structure de l’offre commerciale disponible, deux tendances qui sont sans doute représentatives de l’évolution prochaine du secteur. D’un côté, la mise en avant de personnages imaginaires. Ceux-ci ont souvent des points communs : ils sont dotés d’une apparence physique (en images de synthèse, le plus souvent), sont dans la plupart des cas d’apparence féminine, ont un nom et s’expriment à la première personne du singulier. Ainsi, le robot de dialogue de Volkswagen se présente lui-même de la façon suivante : « Bonjour, je m’appelle Aisa. Je suis un agent de service intelligent ». Il en va de même chez Novomind, où un personnage en image de synthèse très futuriste accueille les visiteurs par « Bonjour, je suis Nomi, le représentant virtuel de Novomind ».

D’un autre côté, on n’hésite pas à aller plus loin, en présentant l’outil de dialogue comme une « véritable personne humaine ». Sur le site de Kiwilogic par exemple, le chatterbot est ainsi utilisé pour « faire parler » le PDG. Tout est fait pour donner l’impression que c’est bien le responsable de l’entreprise qui discute avec chacun des internautes, jusqu’à sa photo, présentant l’homme dans des postures différentes à chaque réponse fournie. Il en va de même chez Virtuoz, une jeune entreprise française qui commercialise un dispositif de dialogue innovant, présenté comme un ensemble de « collaborateurs virtuels ». Trois d’entre eux sont mis en avant, photos de personnages réels à l’appui : Laura (agent de vente pour site marchand), Julie (agent d’assistance et de support client), et Kim (animateur de site événementiel).

Globalement, les chatterbots, qui ne se limiteront pas au web, mais trouveront des applications à la téléphonie mobile ou aux forums de discussion, vont donc probablement devenir monnaie courante, et gagner en « crédibilité conversationelle ». Avec le risque de voir s’atténuer encore la frontière entre réel et virtuel.

Cyril Fiévet

Pour aller plus loin :

Actualités relatives à l’utilisation professionnelle des messageries instantanées : http://instantmessagingplanet.com
Portail des agents intelligents : http://www.agentland.fr

Liste de chatterbots existants :
http://www.simonlaven.com
http://www.botspot.com/search/s-chat.htm
http://dmoz.org/Computers/Artificial_Intelligence/Natural_Language/Chatterbots/

Chatterbots non commerciaux
Elbot : http://www.elbot.com
ALICE : http://www.pandorabots.com/pandora/talk?botid=f5d922d97e345aa1
Start : http://www.ai.mit.edu/projects/infolab/start.html

Chatterbots commerciaux :
http://www.kiwilogic.de
http://www.novomind.com
http://www.virtuoz.fr

Loebner Prize (test de Turing) : http://www.loebner.net/Prizef/loebner-prize.html

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