Rfid : entre mythes et réalités, la nécessité du débat

Outil d’optimisation essentiel pour les uns, danger manifeste pour les autres, les puces d’identification radio (Rfid : Radio Frequency IDentification) déclenchent les passions Outre-Atlantique. Encore méconnue du grand public, cette technologie d’identification par ondes radio est pourtant en cours de généralisation, partout dans le monde. Plutôt que d’opposer les arguments de ses promoteurs et détracteurs, nous avons souhaité contribuer au débat – ou peut-être le susciter en France – en rappelant quelques uns des points clés de cette technologie et de ses multiples applications.
Par Cyril Fiévet

Outil d’optimisation essentiel pour les uns, danger manifeste pour les autres, les puces d’identification radio (Rfid : Radio Frequency IDentification) déclenchent les passions Outre-Atlantique. Encore méconnue du grand public, cette technologie d’identification par ondes radio est pourtant en cours de généralisation, partout dans le monde. Plutôt que d’opposer les arguments de ses promoteurs et détracteurs, nous avons souhaité contribuer au débat – ou peut-être le susciter en France – en rappelant quelques uns des points clés de cette technologie et de ses multiples applications.
Par Cyril Fiévet

Sommaire
Idée reçue N° 1 : « Rfid sert uniquement à concevoir des étiquettes à inclure sur les produits »
Idée reçue N° 2 : « Rfid, c’est l’avenir »
Idée reçue N° 3 : « Un tag Rfid est passif »
Idées reçues N°4 et 5 : « Les tags Rfid sont invisibles à l’oeil nu » ou « Les tags Rfid sont de grande taille et on peut les elenver si on le désire »
Idée reçue N°6 : « Les tags Rfid sont encore trop chers à produire pour être inclus massivement sur des produits de grande consommation »
Idée (pas si) reçue (que ça) N°7 : « Les tags Rfid permettent de transmettre des données personnelles »
Idée (parfois) reçue N°8 : « Rfid est une technologie mature »
Un débat à ouvrir
Pour aller plus loin

Rfid n’est pas une technologie comme les autres. L’une de ses applications les plus marquantes – des étiquettes émettant des données qui pourraient un jour équiper la totalité des produits que nous consommons – échauffe les esprits. Pour les industriels, en particulier du secteur de commerce de détail, Rfid peut réaliser la promesse d’une gestion des stocks efficace, automatisable et optimale. L’engouement des industriels est à la hauteur des enjeux. De l’avis des prévisionnistes, le marché Rfid s’élèvera à trois milliards de dollars en 2007. Mais pour les associations de défense du consommateur, il pourrait avant tout s’agir de l’outil ultime de surveillance du consommateur – ou pire encore, d’un système orwellien de traçage des biens et des personnes, fonctionnant à notre insu.

Comme souvent, le débat est marqué par l’incompréhension mutuelle des intervenants. Côté industriel, on insiste sur le fait que la technologie en soi ne crée pas de nouveaux risques quant au respect de la vie privée et que les arguments des opposants à Rfid se basent sur des scénarios de fiction et/ou des procès d’intention sans fondement réel. A l’inverse, les défenseurs des libertés individuelles ont marqué des points en montrant quelques applications controversées de Rfid (http://spychips.org/broken_arrow.htm ou http://www.boycottgillette.com), et en soulignant sa puissance et les risques inhérents à la technologie.

Au milieu de l’année dernière deux annonces aux Etats-Unis auront suffi pour convaincre les sceptiques que Rfid n’est pas une simple étape, mais bien une évolution majeure de la chaîne de distribution. D’abord Wal-Mart, qui a quasiment « sommé » ses 100 principaux fournisseurs d’être compatibles Rfid à partir du 1er janvier 2005, en incluant des tags Rfid sur toutes les palettes et cartons. Puis le Ministère de la Défense (Department of Defense) faisait de même en octobre (http://www.defenselink.mil/releases/2003/nr20031023-0568.html), exigeant de l’ensemble de ses fournisseurs qu’ils apposent des étiquettes Rfid sur tous les produits livrés, à l’exception du sable, des graviers et des liquides, également à partir de janvier 2005. Ce double « ultimatum », pour édifiant qu’il soit, n’est qu’une petite partie de « l’iceberg Rfid », dont on découvre au fil des semaines la partie immergée.

Rfid suscite un intérêt sans précédent ou presque dans l’industrie. Il faut y voir le signe d’une maturité technologique et commerciale. Mais, pour autant, Rfid est bel et bien une réalité d’aujourd’hui, pour de très nombreuses applications – y compris en France – sans apparaître de manière claire ni susciter à débat. C’est par exemple le cas des titres de transport Navigo (http://www.ratp.fr/groupe_ratp/new_tech/navigo/201.shtml) mis en place par la Ratp dans le métro parisien, et en cours de généralisation.

Navigo résume à lui seul tout l’intérêt – et tout le danger potentiel – de la technologie. L’usager n’a pas le sentiment d’utiliser le dernier cri de la technologie sans fil, et ignore d’ailleurs le terme même de Rfid. Il se contente d’utiliser une carte fonctionnelle et pratique, qu’il n’est même pas nécessaire de sortir de son portefeuille ou de son sac pour voir s’ouvrir les portillons du métro. Pour la Ratp, le dispositif est un outil de régulation et de connaissance des usages de tout premier ordre. « Ce qui nous intéresse, ce sont les statistiques se rapportant aux lieux, dates, moyens de transport, etc. Connaître les heures d’affluence dans telle gare ou à tel point d’accès, savoir s’il s’agit plutôt de titulaires de cartes orange ou d’un autre type de titre de transport, tout ce qui peut nous donner une connaissance vivante de notre trafic. Par contre, savoir qu’il s’agit de Messieurs Durand ou Martin ne nous intéresse pas… » assurait Jean-Louis Lamalle, chef de projet télébilletique de la Ratp, en octobre dernier (http://www.transfert.net/a9429). Il n’en demeure pas moins que le système « pourrait » être utilisé pour surveiller en permanence les déplacements individuels de chacun des parisiens, ce qui n’a pas échappé à la Cnil : « Les technologies de radio-identification peuvent être utiles pour des finalités légitimes bien définies, mais, parce que le maillage dense de milliers d’objets qui entoureront une personne pourra ainsi être analysé, de façon permanente (le potentiel de rayonnement d’un Rfid est illimité dans le temps car aucune batterie n’est nécessaire), permettant potentiellement le ‘profilage’ des individus, elles font peser sur les individus un risque particulier », lit-on sur une page dédiée à Rfid (http://www.cnil.fr/thematic/techno/rfid.htm), mentionnant par ailleurs que « la radio-identification fait déjà partie de nos vies au travers des cartes de transport sans contact (dont Navigo pour la Ratp) ou de nombreuses clés de voiture ».

Rfid est par essence une technologie invisible, porteuse de valeur mais pouvant entraîner des dérives. Mais elle est aussi méconnue, et nous tentons ci-dessous d’éclaircir quelques idées reçues qui perturbent le débat.

Idée reçue N° 1 : « Rfid sert uniquement à concevoir des étiquettes à inclure sur les produits »

Pas vraiment. Si l’enjeu de Rfid en matière de distribution et d’optimisation de la chaîne de la production est considérable, l’intérêt de la technologie ne se limite pas aux étiquettes sur les produits, loin de là.

A terme Rfid pourrait même devenir la technologie universelle sur laquelle s’appuie de multiples dispositifs de paiement ou de billetique, comme le préfigurent Navigo en France ou Speedpass (http://www.speedpass.com) aux Etats-Unis.

Ce dernier est particulièrement édifiant : l’identifiant contenu dans la puce Rfid y est couplé à un compte bancaire et se décline en trois dispositifs de paiement originaux. Le premier est un « tag autocollant » que l’on appose sur la lunette arrière d’une voiture, les autres sont de petits émetteurs portables, l’un s’attachant au porte-clé, l’autre inclus dans une montre-bracelet. Ces « portes-monnaies électroniques sans fil » comportent des tags Rfid (soit actifs, soit passifs), utilisés pour identifier l’utilisateur, instantanément et sans contact, à chaque achat. Concrètement, le tag de la voiture est automatiquement reconnu par la pompe à essence, qui autorise le propriétaire du véhicule à se servir. Une fois le réservoir rempli, le client s’en va. Seul l’identifiant personnel de son tag a été transféré, et sa carte bancaire est instantanément débitée. Les tags portatifs fonctionnent selon le même principe, mais étant passifs (sans batterie), ils nécessitent d’être à proximité du lecteur : le consommateur doit agiter son porte-clé ou sa montre à quelques centimètres d’un terminal ad hoc. Speedpass est d’ores et déjà accepté dans plus de 6 500 stations-service américaines (notamment dans l’ensemble des stations Mobil, le dispositif ayant été développé par le Groupe Exxon Mobil), dans plusieurs magasins de détail, et dans plusieurs centaines de restaurants MacDonald’s. Le système compte 8 millions d’utilisateurs.

Globalement, Rfid est donc une technologie qui trouvera assurément de multiples applications. Les étiquettes ne sont qu’une partie d’entre elles.

Idée reçue N° 2 : « Rfid, c’est l’avenir »

RF – la radio fréquence – est une technologie déjà ancienne et largement maîtrisée, depuis plusieurs décennies. Le premier brevet portant sur le principe de tag Rfid date de 1969 (http://www.rfidjournal.com/article/articleview/392/1/2/), mais l’utilisation de la technologie à des fins d’identification des produits a véritablement commencé à être explorée – et testée – à la fin des années 1990, notamment au Centre Auto-ID, émanant du Massachusetts Institute of Technology. Rfid correspond simplement à l’utilisation des ondes radio pour permettre l’identification, qu’il s’agisse d’un véhicule, d’un individu ou d’un objet.

De très nombreux dispositifs utilisant Rfid ont été mis en place partout dans le monde au cours des dernières années, dans des applications de toutes natures. Pour n’en citer que quelques unes, on peut mentionner l’hôpital de Tampa, qui a généralisé l’emploi de tags Rfid sur les vêtements et rideaux chirurgicaux : un million d’étiquettes, permettant d’optimiser les flux et la traçabilité de ces produits réutilisables au cours de leur cycle de vie (http://www.sptimes.com/2004/02/02/Business/Tiny_discs_help_SRISu.shtml).

Michelin teste depuis l’année dernière et en vraie grandeur des tags Rfid inclus dans les pneus, qui permet l’identification unique de chaque pneu, et mémorise des informations relatives à ses spécificités (date de fabrication, pression de gonflage idéale…) (http://www.rfidjournal.com/article/articleview/269/1/1/).

En Chine, un dispositif de suivi des transports de marchandises par train a été déployé. Près de 17 000 locomotives sont équipées de tags Rfid actifs et 500 000 wagons de tags passifs.

A court ou moyen terme, d’autres types d’applications vont voir le jour : Steria est en train d’implémenter, à l’aéroport Charles de Gaulle et à celui d’Heathrow à Londres, un dispositif d’optimisation des flux de taxis. Chaque voiture dispose d’un tag Rfid et le système surveille en permanence les mouvements des véhicules, couplés avec les afflux de passagers pour fournir une information précise sur l’attente à prévoir.

L’aéroport international de Las Vegas va quant à lui mettre en place dès cette année un système de suivi des bagages basés sur des tags Rfid, pour lequel 100 millions de tags auraient été commandés (http://www.securitymagazine.com/…/0,5411,116832,00.html).

De même, tous les tickets vendus pour l’Expo 2005 qui se tiendra au Japon, ainsi que pour la prochaine coupe du monde de football qui se tiendra en Allemagne en 2006, comporteront des tags Rfid (http://www.infoworld.com/article/04/01/15/HNrfidsoccer_1.html).

SAP a par ailleurs annoncé l’ajout d’un module dans son offre de gestion des chaînes d’approvisionnement, disponible cette année et destiné à traiter les informations émanant des tags Rfid.

Enfin, une étude rendue publique ce mois-ci relève que 41 % des distributeurs européens envisagent d’expérimenter Rfid dès 2004, et un quart des répondants affirment d’ailleurs déjà utiliser la technologie au niveau des palettes de produits (http://www.theregister.co.uk/content/53/35214.html). Cela n’empêche pas de nombreux observateurs de prédire qu’il faudra au moins 10 ans pour que les tags Rfid soient généralisés à tous les produits de grande consommation. On peut en douter, mais là n’est pas vraiment le problème : Rfid est, globalement, déjà une technologie du présent.

Idée reçue N° 3 : « Un tag Rfid est passif »

On dit souvent que les tags présentent un fonctionnement proche de celui des codes à barres, en ce sens qu’ils se contentent de « répondre » à un signal qu’on leur envoie. Cette « passivité » (le tag ne peut pas « décider » d’émettre lui-même) est souvent utilisée comme un argument par les défenseurs de la technologie. Rfid n’aurait d’intérêt qu’à l’intérieur de l’entrepôt ou du magasin et ne fonctionnerait que selon un mode « question-réponse ».

Pourtant, cette vision des choses est partiellement fausse.

Il est vrai que l’essentiel de la production actuelle des tags Rfid porte sur des étiquettes passives. C’est d’ailleurs l’un des intérêts du concept qui sous-tend la technologie : les étiquettes ne comportent pas de batteries, mais utilisent le signal radio entrant, converti en énergie, pour produire un signal en retour. L’absence de batterie autorise la mise au point de composants plus petits et moins chers à produire.

Mais, pour autant, il existe des tags Rfid « actifs », comportant une batterie miniature, et donc capables d’émettre par eux-mêmes, même sans être sollicités pour le faire. Il existe d’ailleurs un consortium industriel, créé fin 2002, pour promouvoir la technologie des tags « actifs » : le Smart Active Labels Consortium (http://www.sal-c.org).

Idées reçues N°4 et 5 : « Les tags Rfid sont invisibles à l’oeil nu » ou « Les tags Rfid sont de grande taille et on peut les elenver si on le désire »

On lit parfois que les tags sont si petits qu’ils sont indécelables à l’oeil nu. A l’inverse, certains prétendent que les tags Rfid sont d’une taille comparable à celle des codes à barre, et que par conséquent l’utilisateur qui les juge indésirables peut facilement les ôter.

En fait, les deux assertions sont identiquement vraies (ou fausses, selon le point de vue).

La taille des tags dépend en réalité de plusieurs facteurs, et surtout de leur puissance. En général, plus un tag est petit, plus courte est la portée du signal qu’il émet ou peut recevoir. Il va de soi qu’un tag actif est plus gros qu’un tag passif, ce dernier ne comportant pas de batterie.

On trouve ainsi des tags de l’ordre de quelques centimètres carrés, mais aussi des tags largement plus petits. A ce jour, les tags les plus petits sur le marché ont une largeur de l’ordre du demi millimètre. SmartCode a présenté récemment (http://rfidjournal.com/article/articleview/764/1/1/) des prototypes de 0,25 mm de côté, c’est-à-dire une taille comparable à celle du point qui termine cette phrase. Selon l’entreprise, il serait doté d’une portée comparable à celle de tags de plus grande taille opérant dans la même gamme de fréquence, soit entre 4,5 et 6 mètres.

Du reste, on peut imaginer des tags incorporés dans – et non simplement apposés sur – les produits. La notion de taille ne fait pas tout, car une puce de quelques centimètres carrés peut bien être invisible lorsqu’elle est placée dans la semelle d’une chaussure ou dans la couverture d’un livre.

Idée reçue N°6 : « Les tags Rfid sont encore trop chers à produire pour être inclus massivement sur des produits de grande consommation »

C’est un argument souvent employé pour expliquer que la généralisation des tags sera toujours limitée par leur coût, comparé au prix de revient du produit qui doit être taggé. En clair, qu’il est envisageable d’inclure un tag sur un téléviseur, mais dissuasif pour le fabricant d’en inclure sur des rasoirs jetables, ou sur tous les produits dans la gamme de prix du dollar, à l’unité.

Le sujet fait l’objet d’un débat nourri entre industriels, et c’est assurément un point clé dans la généralisation de la technologie. Pour beaucoup, le seuil de 5 cents de dollar par tag fait figure de « saint Graal » de l’industrie, et les avis sont partagés quant à savoir s’il est atteignable.

On peut simplement constater que les processus industriels sont en train de se mettre en place pour produire des tags à grande échelle. Globalement, l’industrie du code à barre, dans son intégralité, est en train de migrer vers les tags Rfid. Rompues à l’industrialisation de masse, ces entreprises s’appuient sur des technologies innovantes, avec pour effet des coûts de production qui diminuent très rapidement. L’impression des puces, en utilisant des encres conductrices (http://www.aimglobal.org/…/dec03/PrintedTags.htm), est particulièrement prometteuse. Il existe déjà plusieurs types de machines ressemblant à des imprimantes, et permettant de fabriquer à rythme soutenu des tags immédiatement opérationnels. On peut penser que cette tendance ne va faire que s’accentuer dans les mois et les années à venir.

Pour l’instant, le coût unitaire d’un tag est en général supérieur à 15-20 cents de dollar, ce qui est encore élevé pour des produits de consommation à prix faible. Toutefois, il a été rapporté dans la presse que Gillette aurait payé 10 cents de dollar le tag, lors de sa fameuse commande de 500 millions de tags produits par Alien Technology. SmartCode, une entreprise israélienne, estime du reste qu’elle vendra ses tags, à court terme et pour de gros volumes (1 milliard d’unités), à un prix compris entre 5 et 10 cents de dollar. SmartCode a d’ailleurs pour ambition de mettre en oeuvre une technologie industrielle permettant la production de 10 milliards de tags par an. Il en va de même pour Alien Technology, qui annonce pouvoir produire 20 milliards de tags en 2005. Et quelques industriels semblent confiants sur l’amplification de la baisse de prix attendue : « Dans 18 mois, nous produirons des tags Rfid semi-actifs, comportant antennes et batteries, pour un coût unitaire de moins d’un cent de dollar », estime par exemple Shalom Daskal, le PDG de Power Paper, une autre entreprise israélienne (http://rfidjournal.com/article/articleview/770/1/1/).

Idée (pas si) reçue (que ça) N°7 : « Les tags Rfid permettent de transmettre des données personnelles »

C’est bien sûr la principale crainte des défenseurs de la vie privée. Pourtant, pour ce qui concerne les tags Rfid apposés sur les produits, cette crainte est majoritairement sans fondement, du moins aujourd’hui. Par construction, un tag Rfid de ce type est utilisé comme outil de traçabalité du produit et de gestion des stocks. Il est donc « créé » très en amont dans la chaîne de distribution, et n’est plus modifié par la suite.

Le tag contient un identifiant unique propre à chaque exemplaire du produit, mais dans l’état actuel de la technologie, il est impossible de le modifier et notamment de lui adjoindre par la suite des informations relatives à son acheteur individuel (cela supposerait par exemple que les caisses de supermarché soient équipés d’appareils pouvant associer un produit à un client, et capable de mémoriser cette donnée dans le tag, ce qui n’est pas encore le cas). La puce apposée sur un produit n’émet pas, à proprement parler, d’informations relatives à une personne.

Mais on peut néanmoins imaginer que le croisement, au sein de bases de données, d’identifiants de produits et de données personnelles, pourrait servir de base à un puissant dispositif de recoupement marketing. « En tant que technologie de radio-identification, les étiquettes Rfid ne posent pas de problème tant qu’elles sont cantonnées à la chaîne logistique. Toutefois la norme EPC (cf. ci-dessous, Ndrl) permet d’établir un lien entre une base de données distante, un produit et un consommateur dans un magasin. L’étiquette est en effet active, intemporelle et consultable à distance, ce qui représente une menace pour la protection des données personnelles du consommateur », explique Yann Le Hégarat, expert de la Cnil (Décision Micro, 2 février 2004).

En outre, ce qui est vrai des tags Rfid sur les produits de grande consommation ne l’est pas pour la technologie dans son ensemble. Plusieurs applications existantes nécessitent la mémorisation dans un tag Rfid de données identifiant précisément chaque utilisateur (titres de transport, dispositif de paiement). Curieusement, contrairement à ce que laissent souvent entendre les associations de défense du consommateur, l’application de Rfid aux étiquettes de supermarché n’est donc pas aujourd’hui la principale source de problème que pose Rfid en matière de respect de la vie privée…

Idée (parfois) reçue N°8 : « Rfid est une technologie mature »

Bien qu’opérationnelle aujourd’hui, Rfid souffre de plusieurs défauts, dont la plupart sont inhérents aux technologies d’émission d’ondes radio. En particulier, les ondes sont très sensibles à la proximité de liquides et de certains métaux. En d’autres termes, concevoir un tag Rfid pouvant fonctionner lorsqu’il est collé sur une canette de soda relève du casse-tête. Du reste, le corps humain lui-même constitue un écran efficace, susceptible de rentre inopérants les tags de faible portée.

En outre la technologie n’est pas totalement standardisée. C’est même le principal enjeu des efforts industriels actuels. Plusieurs organismes de normalisation vont tenter d’harmoniser la situation et d’imposer un standard (cf. Electronic Product Code, http://www.epcglobalinc.org, dont la première norme, EPC 1.0, a été publiée en septembre 2003). On peut d’ailleurs noter la constitution en Chine, début janvier, d’un groupe de travail national destiné à la normalisation des tags Rfid (http://www.nacsonline.com/…nd0116044&ch=News).

Pour l’heure, l’absence d’intéropérabilité est un frein sérieux à la généralisation de Rfid, et à son utilisation potentielle à des fins de « surveillance globale ».

Un débat à ouvrir

Les opposants à la technologie mettent souvent en avant les possibilités de traçage des individus qu’elle permettrait, déployée à grande échelle. A ce jour, compte tenu de la puissance des tags utilisés comme étiquettes sur les produits de grande consommation, c’est une vue de l’esprit. Mais on sent bien que l’évolution de la technologie pourrait conduire à des scénarios inquiétants.

On peut prendre pour exemple une application industrielle existante. La société Wherenet a déployé en novembre dernier sa solution de traçage à base de tags Rfid, au sein de l’usine BMW de Dingolfing en Allemagne. Cette solution s’appuie sur des tags spécifiques (« Wheretags », http://www.wherenet.com/products_wheretag.html) et sur un dispositif de localisation en temps réel. Le système permet de localiser n’importe lequel des nouveaux véhicules produits, où qu’il se trouve sur le vaste site de l’usine, via un simple navigateur web. Les caractéristiques des tags sont les suivantes : ils sont actifs, disposent d’une portée variant de 100 (en intérieur) à 300 mètres (extérieur), pèsent 53 grammes, et sont d’une taille légèrement supérieure à celle d’un ticket de métro parisien (mais avec une épaisseur de 2 cm). En outre, ils disposent d’une batterie, dont la durée de vie est fonction des signaux émis : sur la base d’une émission toutes les six minutes, permettant donc de localiser le tag avec une extrême précision sur le site industriel concerné, la batterie dure sept ans. La solution est bien sûr ici limitée à un usage purement industriel, et pour des véhicules. Mais en sera-t-il toujours ainsi ?

Assurément, Rfid est générateur de valeur, comme le montrent la plupart des implémentations effectuées à ce jour. Mais par essence cette technologie porte également en elle les germes de dispositifs de traçage des biens et des personnes à très grande échelle, sans équivalent à ce jour, et généralisables à l’infini. Une prise de conscience de cet état de fait est une étape préliminaire à toute discussion, qui doit impérativement voir se concerter industriels, pouvoirs publics et défenseurs des libertés individuelles.

Car pour l’heure, la seule certitude que l’on puisse forger sur la question est bien que Rfid est une révolution en marche.

Cyril Fiévet

En savoir plus :

Magazine professionnel de référence : http://rfidjournal.com
Blog du Rfid Privacy Happenings, hébergé au MIT : http://www.rfidprivacy.org/blog/
Rfid Connections, la newsletter de l’Association for Automatic Identification and Data Capture Technologies (AIM) : http://www.aimglobal.org/technologies/rfid/newsletter/RFID_Newsletter_Issues.htm
FAQ et explications techniques proposées par l’AIM : http://www.aimglobal.org/technologies/rfid/
Blogs recensant les articles relatifs à Rfid : http://www.rfidlog.com et http://www.rfidnews.org

Articles et documents :
Une présentation simple et illustrée du fonctionnement des Rfid : http://www.technologyreview.com/articles/visualize0304.asp
Bon article récent sur Rfid utilisé comme moyen de paiement : http://www.eweek.com/article2/0,4149,1454477,00.asp
Une triple interview sur l’état de l’industrie Rfid et sa perception par le public (novembre 2003) : http://www.aimglobal.org/technologies/rfid/resources/articles/nov03/industry.htm
Un article expliquant l’émoi suscité par la décision de Wal-Mart dans l’industrie (décembre 2003) : http://www.eweek.com/article2/0,4149,1415875,00.asp
Un article de synthèse : « 2004, l’année où Rfid devient réel », http://news.com.com/2030-1012-5147590.html
La position de la Cnil (PDF) : http://www.cnil.fr/thematic/techno/RFID_communication.pdf
Une sélection de liens autour de la position de la Cnil : http://www.cecurity.com/site/html/article_rfids_identifiants_personnels.php

Organismes :
Smart Active Labels Consortium : http://www.sal-c.org
EPC Network : http://www.epcglobalinc.org
Auto-ID Labs (ex AUto-ID Center) : http://www.autoidlabs.org
AIM : http://www.aimglobal.org

Pour un rappel des éléments du débat aux Etats-Unis, on se référera utilement aux liens de notre compte-rendu de l’atelier « Rfid and privacy » organisé par le MIT en décembre : http://fing.org/index.php?num=4272,4

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0 commentaires

  1. Il y a tout de même un point qui m’échappe, quelle est la potée maximumum du plus puissant tags RFID, à l’heure actuelle?
    Peut-on à la maniére d’un GPS, suivre cette puce en temps réelle sur un territoire vaste comme la France?

    PS: Merci pour cet article vraiment passionnant

  2. Hello Cyrl et merci pour ce billet intéressant, au passage etbdésolé d’être un peu hors sujet mais j’adsore le design de votre blog, petit ambiance sympa 🙂 a+