Animer les territoires électroniques

Les territoires électroniques qui fonctionnent ne reposent pas sur des outils mais sur un ou quelques animateurs qui cristallisent autour d’eux la conversation et les échanges en ligne. Une activité qui, si elle fait le sel de l’internet, n’est mise en valeur nulle part. Quand remettrons-nous l’animation dans le process de développement des TIC ?

Qu’est-ce qui fait que Brest (avec son essaimage de wikis et d’outils participatifs dont le site @Brest est la porte d’entrée) ou Puteaux (dont Christophe Grébert n’est que la partie émergée et emblématique d’une imposante galaxie de blogs locaux nés en réaction ou en soutien à son initiative) sont les deux exemples symboliques – et assez antithétiques au fond – de ce qui se passe sur l’internet local aujourd’hui ? Qu’est-ce qui fait que des réseaux ou des territoires, pas nécessairement à la pointe des outils web 2.0, vivent, « bourdonnent », se développent mieux que bien des réseaux traditionnels établis et parfois plus à même d’être technologiquement mieux équipés ? Pourquoi des services communautaires prennent et d’autres meurent ? Pourquoi des gens participent, collaborent, coopèrent, s’investissent dans certains réseaux et pas dans d’autres ?

Les territoires électroniques qui fonctionnent, où il se passe quelque chose aujourd’hui, ne reposent pas sur des outils, aussi évolués soient-ils. Ils ne reposent pas plus sur des modalités de participation souvent confuses et toujours trop compliquées. Ils reposent avant tout sur un ou quelques animateurs qui cristallisent autour d’eux la conversation et les échanges en ligne. Parfois sans même le moindre blog ou le moindre wiki, à la tête d’une simple liste de diffusion ou d’un réseau absolument informel, ils animent, par leur présence, par leur activité, par leur prise de parole, toute une communauté. Bien évidemment, lorsqu’elle laisse des traces sur le web, cette animation arrive parfois à transparaître, mais pas toujours. Elle reste souvent disséminée derrière des pages web ou le long de commentaires éparpillés sur la toile. Quand elle atteint une audience remarquable ou une participation démultipliée, elle fait alors figure de tête de proue.

Cette participation active qui n’a pour but que d’amener les autres à s’impliquer en ligne, que d’amener les internautes à participer, phagocyte les énergies, agglomère les approbations comme les oppositions. Cette activité qui, aujourd’hui comme hier et comme demain, fait le sel de l’internet, a pourtant un coût. La modération, la réponse aux commentaires, la coordination, l’émulation, l’encouragement que ce soit par ses propres efforts ou à son corps défendant, sont des tâches usantes et souvent ingrates. Pourtant, force est de reconnaître que ces animateurs, souvent dans l’ombre, tiennent aujourd’hui, à bout de bras, des communautés vivantes d’utilisateurs, comme tout un chacun voudrait en avoir devant son site. Si ce coût est supporté aujourd’hui par le plaisir, l’émulation ou la reconnaissance, on peut néanmoins se demander si l’on pourrait mettre cette activité en valeur autrement. Où et comment cette activité bien réelle tient-elle lieu de faire valoir ?

Nulle part. Cette animation électronique, qu’elle soit le fait de réseaux thématiques, de communautés spécifiques, de personnes isolées, n’est jamais prise en compte. Aujourd’hui, les animateurs de réseaux sont en dehors des plans de développement web, ne sont pas comptabilisés par les modèles économiques des services qui comptent pourtant sur eux pour exister. Dans un budget TIC ou lors d’une demande de subvention, l’animation n’existe pas. Elle est presque toujours passée en pertes et profits, alors qu’elle est la valeur la plus importante des nouvelles technologies.

Peut-être faut-il y voir la difficulté chronique de notre société à reconnaître comme il se doit toutes les fonctions de médiation ? Peut-être faut-il y voir le signe d’une tension, d’une crise de gouvernance, entre des systèmes pyramidaux classiques, et des systèmes plus horizontaux où des animateurs font l’indispensable passerelle entre disciplines, métiers et personnes ?

Ce qui sûr en tout cas, c’est que ces animateurs, coordinateurs, organisateurs, modérateurs, relanceurs, vivificateurs – appelez les comme vous voudrez – font l’internet. Reste encore à comprendre et faire comprendre que cette animation est centrale. Qu’elle a un coût, qu’elle a un rôle et qu’elle engendre aussi et surtout des bénéfices. Espérons que bientôt, elle soit au coeur des process, là où elle n’est bien souvent encore qu’un pis-aller. Car elle est le pivot, l’articulation vitale des initiatives en ligne, quelles soient citoyennes, institutionnelles, associatives ou commerciales.

Alors animateurs de réseaux, de territoires, de communautés, permettez-moi de vous remercier. Votre présence en ligne nous est indispensable. Elle nous nourrit et nous apporte, comme le dit le sens premier de votre fonction, un « supplément d’âme ».

Hubert Guillaud

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0 commentaires

  1. Bien vu, et bel hommage rendu.
    Cette prise en compte avait besoin d’être mise en ligne, le nombre de lecteurs visiteurtrices, de spectateurs et de participants à des réseaux étant directement tributaire de l’activité, de la pertinence et de la qualité des animateurs.
    Quant à concevoir un modèle économique permettant de rétribuer une telle dépense d’energie, de créativité et d’engagement…Qui a une idée?

  2. On ne le dira jamais assez !
    Merci d’avoir aussi clairement posé la problématique des animateurs quels qu’ils soient.
    Je me permets de relayer cet article auprsè de nos réseaux (Créatif et autres…).
    Cet article ne peut que servir de support chaque fois que l’on aura besoin de convaincre (les élus en particulier) de la nécessité de budgéter ce type de poste !

  3. Ce problème dépasse très largement l’internet, il trouve racine dans le peu de cas donné à l’exploitation, tout particulièrement dans les projets publics. Investir, inaugurer de l’architecture offre un résultat politique immédiat indéniable, maintenir et manager l’opérationnalité des services avec ce que cela veut dire de moyens humain est autre chose. L’exploitation, c’est le truc qui passe à la trape dans les budgets, à l’heure du « on se démerdera ».
    Dans les projets web, on mesure bien le problème dès que l’on évoque la question des contenus. La présence de budgets dédiés à ce sujet est très rare et parler de médiation et de postes pour les faire vivre est une incongruité. On préfère parier sur la capacité des personnels à investir du temps, à diluer sur la masse, mais sans se donner les moyens de manager et d’accompagner, sans rétribution ni reconnaissance. Le contenu et ses nécessités est dénigré et dévalorisé.
    Tu pointes la tension entre gouvernance pyramidale et en réseau. C’est évidemment une vrai réalité, surtout quand « transversalité » et « mise en réseau » sont des passages obligés des projets, mais pas dans l’organisation du management. Et je ne parle même pas de nos chers silots administratifs.
    Le comble, c’est que les bons exemples que tu cites ne font pas école. Il y a un vrai problème à faire valoir la valeur ajoutée de ces modèles.

  4. Oui, votre article rejoint une réflexion bien globale, dans une société ou on ne parle que par projet (projet associatif, projet de ville…) : on évoque rarement les animateurs. Pourtant, au sein même de structures autogérées, il y a toujours des personnes qui s’impliquent plus, qui animent le collectif.

    En terme de démocratie locale, il y a plusieurs manières d’impliquer les citoyens. Pourtant, les initiatives institutionnelles rencontrent peu leur approbation… Ce que montrent les « initiatives citoyennes » c’est que l’implication d’une personne, qui va susciter le débat, la remontée d’information, la proposition… est indispensable. Ce qui ne résout pas la question de la légitimité de cette personne. Cet animateur serait-il plus légitime s’il était agent de la collectivité ?

    Enfin, une petite remarque sur l’étude que je mène actuellement (les formes électroniques de démocratie locale en dehors de la sphère insitutionnelle). Les différents écrits que j’ai consulté, en sciences de l’information et de la communication et sociologie des usages, donnent très peu d’importance à cet aspect. Les chercheurs évoquent les usages, la technique, parlent de médiation, mais jamais du médiateur. Y’a-t-il des études scientifiques menées sur ces acteurs ? Si oui, j’aimerais bien avoir les références…

  5. bonjour,

    Je suis animateur de professiion (titulaire d’un DEFA Option développement local).

    Je rejoins l’analyse présentée ici. Je réalise aussi des sites Internet. Il est vrai que l’enjeu de l’animation des sites Internet est totalement ignoré.

    Animer c’est deux matrices essentielles :

    La Communication
    La participation.

    La réussite de l’une passera par le succés de l’autre. Faire un site internet c’est généralement vouloir communiquer . Mais pourquoi cette communication ?

    Pour une collectivité une association, c’est peut être pour rendre compte aux citoyens, aux bénévoles … pour animer la participation de ces acteurs.

    Les territoires ne se construsent pas sans que chacun se sente impliquer, consulter …Communiquer c’est alors faire partager les enjeux, créer des synergies … Et la aussi point de succés sans animation.

    L’animation a un coût, elle ne se voit pas et pourtant elle est primordiale dans une société ou parfois le vivre ensemble et la démocratie semblent en danger.

  6. L’analyse d’Hubert Guillaud est intéressante. L’animation des territoires numériques sera mieux connue lorsqu’elle aura « conceptualisé » son rôle.

    Ainsi face à l’évolution rapide des usages, l’animation demandera une réactivité forte et une évaluation permanente de la qualité. D’autre part la mesure d’audience jouera un rôle important dans la qualité du pilotage : cartographie du web local, positionnement, impact, marge de progression, audience passive ou active, etc.

  7. L’édito d’Hubert croise admirablement la préoccupation actuelle de l’Unadel (Union nationale des acteurs et des structures du développement local), qui lance un manifeste « Agissons pour l’ingénierie », http://www.unadel.asso.fr/dossiers/dossiers.php?id_dossier=473), et signe un édito un peu alarmant (« A t’on encore besoin d’animateurs? », http://www.unadel.asso.fr/base/index.php), qui pointe le peu de moyens d’animations prévus pour les territoires dans les futurs Contrats de projets Etats Région et du Feder.