#lift12 : Quelle est la valeur de la technologie ?

Nous entamons notre retour sur la conférence Lift 2012, dont la 7e édition se tenait du 22 au 24 février à Genève. L’occasion de revenir en détail durant 15 jours sur de très nombreuses et stimulantes présentations.

La première session de conférences s’intéressait au rapport des gens avec la technologie. Nous permettent-elles de mieux collaborer ? Rendent-elles nos vies meilleures, ou pas ? Telle est la question que lançait Laurent Haug, le cofondateur de Lift, au premier intervenant.

Pourquoi innovons-nous ?

Gandhi disait qu’il faut que les choses arrivent au bon moment et pas seulement qu’elles se produisent, rappelle en introduction l’entrepreneur indien JP Rangaswani (@jobsworth, blog, Wikipédia), responsable scientifique de Salesforce, un système de gestion de la relation client, investisseur au Groupe Anthemis et président de School of Everything, une entreprise sociale autour des nouvelles formes éducatives.

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Image : JP Rangaswani sur la scène de Lift 2012, photographié par Ivo Näpflin pour LiftConference.

Pour lui, l’innovation technologique est le résultat de deux facteurs facilitateurs : le besoin perçu et l’observation. C’est parce qu’il voulait voler que l’homme a imaginé des outils pour ce faire. C’est en observant comment des herbes s’accrochaient aux poils de son chien que l’ingénieur suisse Georges de Mestral a inventé le velcro. Le désir et l’observation sont les deux moteurs du changement technologique.

Mais certains chercheurs ont avancé l’idée d’une troisième raison : celle d’accélérer l’évolution. En utilisant le feu, l’homme a créé la prédigestion qui a réduit la taille de nos estomacs. En changeant notre alimentation, nous avons permis d’augmenter notre masse musculaire et cérébrale.

Est-ce que cette accélération technologique est une bonne chose ? JP Rangaswani semble en douter. Aujourd’hui, les nouvelles technologies montrent leurs effets négatifs. Nous manquons d’attention, d’intimité et souffrons du fait qu’elles nous adressent plus d’intentions que nous n’en avons besoin. Le fait d’être toujours connecté a un impact profond sur nos comportements. Toutes les technologies ont leurs avantages et leurs inconvénients. On voit bien qu’il faut fixer un cadre pour comprendre les technologies. On a longtemps cru par exemple que l’amiante était un matériau formidable, avant de constater ses effets mortifères sur la santé. Les dentistes et les médecins ont passé beaucoup de temps à nous recommander des marques de tabac sous la pression des industriels, avant de se rendre compte de leurs effets désastreux sur notre santé. Le temps nécessaire pour comprendre tous les effets d’une technologie est long, alors que les changements qu’elle introduit dans nos comportements sont immédiats.

Quel est l’impact de la technologie ?

Longtemps, l’homme a été traité par la médecine comme un objet global, holistique… Jusqu’à ce qu’on se mette à décomposer les maladies et leurs effets. Nous nous sommes mis à traiter des maladies particulières. Nous nous sommes recentrés sur le produit, en oubliant le « consommateur ». Or cette vision du traitement de la maladie n’a pas réussi à traiter certaines maladies comme les cancers. La médecine s’est longtemps consacrée au traitement de maladies particulières plutôt qu’à l’équilibre général du corps, comme l’explique le livre de David B. Agus La fin de la maladie. Nous manquons parfois à observer le rôle global de la technologie, pour n’en regarder que certains aspects, certains effets. La voiture par exemple a eu des conséquences formidables, permettant aux gens de se déplacer plus facilement, mais elle a eu également des effets délétères. Elle a modelé nos villes, a créé nos banlieues, des zones mortes nocturnes, des problèmes de pollution…

Enfin, il faut aussi penser aux technologies que nous ne créons pas… Car ce que nous ne créons pas a également un effet sur notre avenir.

Personnaliser les pertes, socialiser les bénéfices

« Dans le monde financier, nous socialisons les pertes et personnalisons les profits. L’open source fait exactement le contraire. Il personnalise les pertes et socialise les profits. Si vous arrivez à produire quelque chose de bien, toute la communauté l’adopte. Les bénéfices sont socialisés. Les mauvaises parties de code, elles, ne gênent que leurs auteurs. C’est ainsi qu’il faut imaginer le rôle de la technologie dans notre société », assène JP Rangaswani.

Beaucoup de ses effets nous échappent, créent des conséquences inattendues qu’il nous faut gérer. Et JP Rangaswani d’évoquer le cas dont avait parlé la journaliste de Forbes Kashmirr Hill, celui d’une jeune fille de 16 ans, qui, du fait de ses habitudes de consommation en ligne, recevait des sollicitations publicitaires, comme si elle était enceinte, juste parce que l’analyse de l’évolution de ses achats semblait suggérer cela. « La technologie est désormais capable de dire des choses de nous, avant même que nous ne soyons au courant. »

Pourtant, la technologie ne fait pas qu’accélérer le monde, elle sait aussi le ralentir, comme le fait l’inutile zonage des DVD. L’internet était sensé nous rendre idiots, mais nous l’utilisons pour trouver les informations dont nous avons besoin. Tout le problème résidant largement dans les filtres dont nous avons besoin pour faire face à cette information trop abondante. Et les filtres par exemple, nous les trouvons dans les réseaux sociaux, qui nous permettent d’augmenter nos interactions plutôt que de les diminuer comme on l’a longtemps cru.

Relever la promesse des technologies

La technologie permet au physicien Stephen Hawking d’avoir une voix, plutôt que d’être muré dans son silence. Et quelle voix ! Elle permet à Oscar Pistorius de courrir. Elle permet au professeur Sugata Mitra (voir son intervention à Ted) de montrer, via son fameux projet a Holl in the wall, que les enfants savent très apprendre par eux-mêmes et entre eux. Elle a permis, comme après le tsunami japonais, de scanner des milliers de photos abimées, retrouvées dans les décombres, en faisant appel à la communauté d’utilisateurs pour aider les sinistrés à rendre ces images abimées leurs allures originelles, à recréer les souvenirs de ceux qui les avaient perdus. C’est cela le plus intéressant dans la technologie, estime Rangswani, sa capacité à faire ressortir le meilleur de nous. « J’ai un pacemaker. Sans la technologie médicale, je ne serais pas sur scène, mes enfants n’auraient pas de père ».

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Image : JP Rangaswani, photographié par Ivo Näpflin.

« La technologie n’est ni bonne ni mauvaise. Elle ne fait ni le bien, ni le mal. C’est la manière dont nous nous engageons avec elle qui la rend positive ou négative ». Les conséquences peuvent être inattendues ou tragiques. Notre futur se construit sur la connectivité, les réseaux sociaux et les systèmes de communication. Et ce sont ces outils qui doivent nous permettre d’affronter les problèmes auxquels nous sommes confrontés. C’est la technologie qui nous aidera à améliorer la santé, l’éducation… comme notre bien-être global. « Si je m’intéresse à la technologie, c’est indéniablement pour vivre une meilleure vie ». Ce n’est pas la promesse que font les technologies aux hommes, c’est celle que les hommes doivent faire aux technologies.

Hubert Guillaud

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0 commentaires

  1. Juste pour faire remarquer une faute : « Et qu’elle voix ! » serait plutôt « Et quelle voix ! ».
    Sinon, article intéressant, encore une fois. – Corrigé, merci – HG