#Lift12 : Développement, redéveloppement

L’innovation africaine est-elle une opportunité pour l’Afrique ou pour l’innovation ?
Retour sur deux présentations de la conférence Lift qui se tenait à Genève du 22 au 24 février 2012.

En 2005, The Economist publiait un numéro consacré à la réalité de la fracture numérique en Afrique où il expliquait comment ce continent allait être transformé par le développement du téléphone mobile. « La réalité a dépassé ce qu’on imaginait dans cet article », explique le « philanthropreneur » Steve Song (@stevesong), associé de la Shuttleworth Foundation et président de Village Telco, une entreprise Sud-Africaine qui développe un kit de télécommunication open source.

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Image : Steve Song sur la scène de Lift 2012, photographié par Ivo Näpflin pour Lift Conference.

Forces et faiblesses de l’accès mobile en Afrique

Le succès de l’Afrique mobile aujourd’hui se mesure par l’étendu du développement de l’accès, explique l’entrepreneur en nous montrant une carte de la couverture téléphonique de l’opérateur sud-africain Vodacom. Bien sûr, si on zoom sur la carte, on constate que celle-ci est moins impressionnante qu’il n’y paraît à première vue : les zones couvertes par la 3G sont très réduites et les espaces éloignés des voies de communication ne sont pas couverts du tout. Si on observe une carte du Zimbabwe, comme de la plupart des pays africains, on constate à peu près la même chose. La couverture a progressé, mais elle n’est pas profonde.

Si l’usage des téléphones mobiles s’est répandu, il demeure coûteux d’utiliser un téléphone mobile en Afrique subsaharienne. Les Africains dépensent 50 % de leurs faibles revenus en communication. Ce prix élevé n’est pas sans conséquence. « Quand c’est cher, cela réduit l’innovation. Quand c’est cher, il est difficile d’apprendre à jouer le jeu. » C’est seulement quand le coût d’accès est bas que l’innovation peut aller de l’avant, estime l’entrepreneur.

Enfin, il faut compter avec la résilience du réseau, c’est-à-dire sa capacité à continuer à fonctionner en cas de panne, ou plutôt dans ce cas, à ne pas fonctionner. En Afrique, les interruptions de services sont courantes, ce qui pousse les utilisateurs à avoir plusieurs formes d’accès, plusieurs abonnements à des opérateurs différents. Et c’est vrai problème, explique Steve Song. « Alors que l’infrastructure d’internet est décentralisée, émergente, ce n’est pas le cas de celle du téléphone : si votre village n’est pas connecté, vous n’avez d’autre choix que d’attendre qu’il le devienne un jour, au bon gré des décisions des opérateurs. »

En 1999, IBM lançait leur super ordinateur. On pensait alors que l’avenir résidait dans la puissance. A la même époque pourtant, Page et Brin développaient une autre vision en multipliant les ordinateurs connectés et créant l’informatique superflue et redondante (superfluous computing). L’idée était d’obtenir la qualité par la quantité, en assemblant entre elles des technologies « faibles ». C’est un peu comme cela que fonctionne l’internet : la qualité se construit par des effets de masse.

Un réseau maillé pour connecter l’Afrique

Le problème de l’internet mobile est qu’il est un énorme obstacle à la connexion pour le continent africain. Les réglementations sont compliquées, la disponibilité des spectres est limitée et la concurrence entre opérateurs est faible. Par contre, l’accès sans fil, du type Wi-Fi, n’est lui pas très cher et se retrouve désormais partout. On y connecte autant des ordinateurs que des téléphones, des tablettes ou des objets. D’ailleurs, le nombre d’appareils Wi-Fi devrait cette année dépasser le nombre de téléphones mobiles en circulation. Via le Wi-Fi et des réseaux d’appareils interconnectés sans fil, on peut imaginer optimiser une connexion internet et étendre sa zone de connectivité. C’est ce que fait Village Telco.

Le Wi-Fi open source ouvre d’énormes possibilités pour ouvrir les systèmes, estime Steve Song en évoquant le routeur open source de Linksys, le WRT54G qui a donné lieu à de très nombreuses adaptations par la communauté open source. Grâce à un financement de la Shuttleworth Foundation et au travail de quelques hackers, Steve Song a développé une technologie simple, permettant de transporter la voix et les données via un boitier permettant de connecter un téléphone ordinaire à un réseau Wi-Fi. C’est le Mesh Potato (vidéo) que produit Village Telco. Le principe est simple. Une borne est reliée à un téléphone ordinaire et diffuse la connexion à des antennes relais, qui augmentent la taille et la portée du réseau, à la manière d’un grand réseau maillé, un hotspot auquel tout le monde peut se connecter. Il permet de téléphoner ou envoyer des données à d’autres utilisateurs du réseau sans frais et de se connecter à l’internet ou d’avoir accès au réseau longue distance via un numéro de téléphone personnel préprogrammé fourni par l’opérateur Village Telco permettant de répartir les coûts de communication selon sa consommation. Chaque utilisateur doit disposé pour cela d’un boitier relai entre son téléphone et le réseau : un combiné qui coûte 119 dollars aujourd’hui.

Village Telco a mis en place deux réseaux pilotes. L’un à Bo Kaap, en Afrique du Sud, l’autre à Dili au Timor-Oriental, permettant de créer une alternative, un réseau téléphonique à coût zéro. Dans un village d’Afrique du Sud, l’équipe de Village Telco a créé une connexion Wi-Fi longue distance pour apporter le réseau à plus de 40 km, là où il n’y avait pas d’accès. Rael Lissoos, un entrepreneur de Johannesburg, fondateur de l’opérateur alternatif Daaba (devenu partenaire de VillageTelco) a utilisé ce dispositif pour connecter chacun de ses employés dans son entreprise.

VillageTelco travaille déjà à un outil de deuxième génération qui coutera deux fois moins cher tout en étant deux fois plus puissants, assure Steve Song qui compare sa technologie à celle de Photosynth de Microsoft, qui assemble une myriade de photos pour en faire une image globale cohérente, avec une résolution qui éclipse les meilleures photos qui la composent. C’est ce que propose de faire Village Telco avec le Wi-Fi : en faire une technologie plus intelligente et plus collaborative.

« Sur l’internet personne ne sait que vous êtes pauvre »

« Il est temps pour les entrepreneurs du web de déménager en Afrique, car c’est là-bas que seront les prochains milliardaires du web », estime le journaliste David Rowan (@iRowan) rédacteur pour Wired UK et pour la rubrique Digital Life de GQ Magazine UK.

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Image : David Rowan sur la scène de Lift 12, photographié par Ivo Näpflin pour LiftConference.

Pour le journaliste, la solution pour résoudre la pauvreté du continent, l’outil d’éducation de l’Afrique repose sur ces câbles sous-marins qui apportent l’internet en Afrique et qui bouleversent les opportunités, non seulement en ligne, mais jusque dans la vie réelle. L’historique et l’avenir du raccordement de l’Afrique à l’internet mondial va accroître la disponibilité de la bande passante dans tout le pays et créer de nouvelles possibilités de développement et d’innovation.

La croissance économique du Produit intérieur brut africain est le premier signal de cette montée de l’Afrique sur la scène internationale. Certes, l’Afrique a raté l’ère de l’accès internet par téléphone fixe : on ne trouve que 140 millions d’abonnés sur l’ensemble du continent, soit seulement 13,5 % de pénétration, bien loin des taux d’accès de l’Occident. Au Kenya, 26 % de la population a accès à l’internet, mais il se fait à 98 % via l’internet mobile. Plus que le téléphone mobile, c’est le smartphone qui semble être le futur de l’internet en Afrique. Avec des terminaux peu chers (80 $), adaptés aux marchés locaux, il s’en est vendu 150 000 sur le continent l’année dernière alors que 40 % de la population vit avec moins de 2 $ par jour. « Mais sur l’internet, personne ne sait que vous êtes pauvres », s’amuse David Rowan.

Dire que c’est le « moment » de l’Afrique est-il un cliché ?, questionne David Rowan, quand on sait que l’infrastructure n’est pas encore tout à fait là, que l’électricité est loin d’arriver sur tout le continent, que la corruption est bien souvent la règle et que le financement des start-ups est encore embryonnaire. Néanmoins, plusieurs signes semblent encourageants. Le coût de la bande passante s’est effondré passant de 2000 $ pour 1 méga par seconde et par mois à moins de 100 $ en moyenne.

L’innovation africaine : quelles opportunités ?

Erik Hersman (@whiteafrican), cofondateur de Ushahidi et du Hub d’innovation de Nairobi, iHub, fondateur d’AfriGadget, voit dans l’Afrique de grandes opportunités, notamment parce que les Africains utilisent désormais des dynamiques locales pour trouver des solutions à leurs problèmes. Certaines innovations africaines ont ainsi un impact mondial comme la messagerie instantanée mobile originaire d’Afrique du Sud Mixit ou bien sûr la célèbre solution de paiement mobile kenyane M-Pesa de Safaricom (Wikipédia), autour de laquelle se développe tout un écosystème comme PesaPal et qui est même copié par les occidentaux – notamment par la banque Barclays avec Pingit.

David Rowan énumère nombre de success-stories africaines dans un vaste inventaire à la Prévent, comme la sitcom nigériane BlackBerryBabes, qui totalise 90 millions de vues sur YouTube ou encore la tablette nigériane Inye développée par le groupe Encypher qui devrait être commercialisée à 160 $, ou encore Slim Trader de Mobiashara, la première plateforme de commerce électronique qui utilise des téléphones mobiles traditionnels (vidéo)… Il évoque également Stefan Magdalinski ce sérial entrepreneur qui depuis 2009 a quitté Londres pour Cape Town en Afrique du Sud où il a fondé les répertoires de petites annonces Mocality et Dealfish. Il évoque encore Cheki.co.ke : un répertoire de petites annonces kenyan pour vendre des voitures d’occasion, qui est en train de s’étendre à d’autres pays du continent africain. Ou encore mPedigree (vidéo), une organisation à but non lucratif qui a vu le jour au Ghana et qui a imaginé un système de vérification de médicament par SMS grâce au code unique inscrit sur chaque boîte, pour lutter contre le fléau de la contrefaçon. Il évoque encore la plateforme iCow (cartographie) qui permet de recevoir des conseils par SMS quand les vaches mettent bas. M-Farm ou ESoko de BusyLab qui permet aux fermiers de connaître sur mobile le prix auquel s’échangent les récoltes. iWatch, qui, comme Ushahidi qu’était venue présenter Juliana Rotich à Lift en 2009 et 2011, permet de surveiller la corruption locale et les promesses politiques.

Autant d’exemples qui viennent souligner la « reaspora » en cours, c’est-à-dire le retour de la diaspora africaine du fait des nouvelles possibilités qu’offre le continent.

Comme le soulignait David Rowan dans son article sur Wired « Si vous souhaitez devenir riches, allez en Afrique », il y a désormais des opportunités d’affaires en Afrique, avec un coût d’entrée sur le marché très bas. David Rowan écarte d’un geste ceux qui, en commentaire, l’accusaient de néocolonialisme, expliquant qu’il ne comprend pas ce débat, que ce qui l’intéresse n’est rien d’autre que les conditions qui aujourd’hui permettent de développer une nouvelle forme d’innovation en Afrique. « L’Afrique a besoin d’innovation, elle est une place de marché comme une autre », conclut David Rowan, balayant peut-être un peu vite ses spécificités.

Hubert Guillaud


L’intervention de David Rowan en anglais et en vidéo.

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