Comment gagner à Tinder ? – New Inquiry

Comment gagner à Tinder ?, s’interrogeaient cet été dans un épatant billet pour le New Inquiry Alicia Eler (@aliciaeler) et Eve Peyser (@evepeyser). Tinder est un jeu. Une interface qui vous engage tout en vous permettant de rester très détaché. A Tinderland, rien ne compte. La rencontre IRL n’est pas toujours un but en soi. “Gagner à Tinder consiste à maîtriser les affordances de l’application, ses mécaniques de jeu, les tampons dissociatifs qui font qu’il est possible de jouer. Vous devez considérer les autres personnes sur Tinder – et vous-même – comme des avatars.” Tinder est agréable, très addictif… Vous êtes constamment bombardés de nouveaux visages… pareils à un catalogue infini de gens semblables à des produits, jusqu’à la saturation cognitive d’un trop grand choix dont on ne connait plus les paramètres pourrait-on dire. 

Son fondateur, Sean Rad a expliqué que Tinder n’avait pas de point final ni de but. Il est ce que vous voulez qu’il soit. Pour gagner à Tinder, il faut rester insouciant, garder le plus de possibilité ouvertes. 

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“Tinder est à la fois un fantasme et la vie réelle. A Tinderland, il n’y pas de séparation entre les deux”, expliquent Alicia et Eve. On peut y rencontrer plein de gens et vous pourriez quand même ne jamais trouver ce que vous y cherchez. L’application sépare le numérique et le physique, tout en les fusionnant. Comme l’explique Seth Watter, l’âge des écrans augmente notre besoin de simultanéité temporelle tout en augmentant notre sens de disparité spatiale. ”Nous sommes de plus en plus dans le même temps mais pas au même endroit”. Cela change la nature même de la connexion. Elle consiste moins à tomber amoureux qu’à jouer de la distance et de la proximité : est-ce que je veux de ce type chez moi ? Plutôt que de baiser, la médiation de l’écran nous invite à cliquer et caresser. Reconfigurant par là, la façon même de faire relation. 

Tinder offre une satisfaction tactile immédiate. Le rythme du glissé est relaxant. “C’est un moyen de passer le temps en étant productive tout en ne faisant rien, quand je veux me sentir adorée, mais pas enlacée.”

Tinder est une application de productivité fun, qui transforme la romance en produits. Créer son profil consiste à créer la publicité de soi-même, à se montrer comme un partenaire potentiel idéel, à se montrer comme un fantasme. Tinder consiste à sélectionner des images de soi, qui vous font apparaître tantôt ennuyée, tantôt chaude, intelligente sans être égotiste, curieuse sans apparaître désespérée. Sur Tinder, contrairement aux sites de rencontres qui nécessitent de remplir de fastidieux profils, vous êtes votre propre entremetteur. 

Tinder, c’est un peu comme faire un safari depuis une jeep, une chasse sans fin, explique encore les deux auteures. C’est comme un espace de jeu narratif permettant de jouer sur plusieurs niveaux à la fois, permettant de parler à tout le monde et à personne en même temps, explique Alicia. Comme le remarquait Tomas Chamorro-Premuzic, les applications de rencontre mobiles sont une fin en soi plus qu’un moyen. Le prétexte est de draguer, mais le vrai plaisir nait du processus, du plaisir à la connexion occasionnelle que l’application favorise, vous permettant d’avoir une conversation forte avec un inconnu que vous ne rencontrerez peut-être jamais. “Parfois, tout ce dont on a besoin, c’est d’avoir cette brève liaison, et Tinder facilite cette possibilité”. Tinder n’accélère ni ne décourage la chasse. Il l’a mécanise, il en maximise la productivité. Il rend la chasse évasive, et bien souvent la conversation s’épuise plus qu’elle ne se concrétise. Tinder rend la chasse désinvolte en nous permettant de chasser simultanément plusieurs utilisateurs. Il protège et détourne les utilisateurs de l’incertitude émotionnelle de leur recherche. En s’y connectant, on en accepte les règles et on reconnait que les autres y jouent.

Gagner à Tinder ne consiste pas forcément à former une relation sur le long terme en-dehors de Tinder. Gagner à Tinder consiste finalement à accepter que vos interactions réelles seront assujetties aux limitations du jeu.  

Etre célibataire en 2015 signifie souvent cyniquement escalader les murs de l’internet en priant pour trouver un trou où y glisser un pied, constate avec humour Alana Hope Levinson sur Medium. Ce qui est assez épuisant. Un rapport du Pew Internet de 2013 a montré que sur les sites de rencontre en ligne, 42 % des femmes s’étaient senties harcelées ou mal à l’aise contre 17 % des hommes. Est-ce que le problème viendrait de la technologie elle-même ? Alana rappelle que les hommes sont bien plus nombreux que les femmes dans le monde de la technologie. La plupart des sites de rencontres, d’ailleurs, ont été fondés par des hommes.”Il n’est donc pas surprenant que les produits de rencontre les plus populaires répondent d’abord aux problèmes des utilisateurs masculins”. Mais cela pourrait changer. Alana Levinson a découvert Bumble, la première application de rencontre créé par des femmes. Sur Bumble, seules les femmes peuvent prendre l’initiative des conversations et si elles ne le fond pas l’appariement expire. Bumble, fondée par une ancienne de Tinder, aurait 1 million d’utilisateurs (contre 50 millions pour Tinder). Pour Shannon Ong, fondatrice de The Catch, une autre application de rencontre lancée par une femme : les hommes créent des applications en fonction de leurs propres problèmes d’utilisateurs. Et Alana Levinson d’en évoquer bien d’autres comme Siren, The League… Reste qu’on ne sait pas si cet essor de sites et d’applications féminines seront suffisants pour protéger utilisateurs et utilisatrices des pratiques léonines du secteur qu’avaient mis à jour le scandale Ashley Madison

“Exiger que les femmes parlent en premier ou leur donner le contrôle pour relever leur image, peut sembler de petits choix de conception sans conséquence”, mais ils influent sur les relations. A l’heure de l’apocalypse de la rencontre, les créateurs de technologie doivent interroger le sens de ce qu’ils – et elles – conçoivent. Est-ce que les femmes peuvent bâtir un meilleur Tinder, demandait Alana Levinson. Certainement. Mais aucune application de rencontre ne fournira pourtant une solution miracle, toutes peinent à favoriser des rencontres réelles. Reste qu’il est intéressant de regarder comment l’ethos des fondateurs façonne les produits qui agissent sur la société, ces applications qui définissent notre culture qu’évoquait Anil Dash, conclut Alana Levinson. “Nos valeurs définissent les valeurs par défaut des services”. Uber est le reflet des valeurs de Travis kalanick. Tesla d’Elon Musk. Facebook de Mark Zuckerberg (comme le soulignait déjà Zadie Smith lue par Xavier de la Porte) … D’où l’importance à favoriser une plus grande diversité de ce monde d’entrepreneurs pour en diversifier les valeurs.

MAJ : Sur Slate.fr, on nous explique encore que Tinder peut rendre les gens brutaux, du fait de l’absence de relations sociales entre les gens ; mais peut aussi favoriser la drague pour la drague, parce qu’elle procure en elle-même suffisamment de plaisir pour n’avoir à jouer qu’à cela, comme le soulignait les auteures de Comment gagner à Tinder. 

Dans sa chronique hebdomadaire pour le Monde, Maïa Mazaurette revient sur une belle brochette de services web pour la séduction, comme TinderUs, qui aide à créé un profil plus séduisant ou BroApp pour envoyer des textos à votre place…

MAJ : Chaque utilisateur de Tinder se voit attribué une “note de désirabilité” a expliqué son directeur général, basée notamment sur le fait qu’on rejette ou accepte votre profil. 

MAJ : Tinder est devenu bien plus qu’une application de rencontre expliquent Alicia Eler et Eve Peyser dans un nouvel article sur le sujet sur The New Inquiry. “Il est devenu une métaphore pour accélérer et mécaniser la prise de décision nous transformant en créatures binaires”. La dichotomie de son mécanisme, assez similaire à celui que pratiquent la plupart des médias sociaux nous invitant à aimer ou pas, à retweeter ou pas.., aplatit toute complexité. “A l’heure où la stimulation sociale et techno-sexuelle est maximale, le retrait – la déconnexion – commence à devenir le seul moyen de réellement dire non”. Tinderizer est devenu la version numérique de glander, un moyen d’éviter toute confrontation aux autres, un substitut à quelque chose de décontractant et d’intime, un moyen de libérer son énergie émotionnelle sans conséquences, de jouer sans fin à un jeu où rien ne compte. Par l’épuisement et la saturation, en faisant que nos choix ne réclament aucune énergie et n’aient aucune conséquence, Tinder nous rend froids et insensibles. Le numérique, le développement de notre connectivité consiste à s’assurer que nous avons toujours beaucoup trop d’options pour faire quelque chose. La connectivité par saturation est une stratégie pour n’avoir pas à répondre aux trop nombreuses options que nous rencontrons, jusqu’à épuisement de l’excitation que les possibilités entrouvrent. L’insensibilisation nous conduit à ignorer tout le monde jusqu’à nous-même. L’application Twindog, qui offre aux propriétaires de chiens un moyen d’en rencontrer d’autres sur le même principe que Tinder ne demande ainsi plus ni parcs, ni chiens, ni instinct canin pour la rencontre. 

Tinder est à l’image de la procrastination qui nous saisit quand nous sommes à la recherhce d’un restaurant sur Yelp ou d’un film sur Netflix, passant des heures à chercher sans trouver, dans l’espoir d’avoir toujours une autre option bien plus préférable à la précédente. 

C’est ce qu’on appelle la paralysie de la décision.

Il n’est pas toujours facile de choisir un film sur Netflix, rapporte Rick Paulas pour le Pacific Standard. Vous vous installez devant votre écran, faites défiler les menus passant des comédies aux drames. Vous sélectionnez un films, lisez son résumé qui vous en fait perdre l’intérêt… Vous en cherchez un autre… Et après avoir passé de temps trop de temps à choisir sans trouver, vous éteignez rageur la télé ou l’ordinateur.

Ca vous arrive aussi ? “Le phénomène ici décrit s’appelle la surcharge de choix ou la paralysie de la décision”, explique le psychologie Benjamin Scheibehenne. Plus vous donnez d’options à choisir aux gens, plus il leur faut du temps pour le faire, ce qui a tendance au final à les frustrer. Et ce démon de la décision bien connu nous pousse à passer plus de temps à décider qu’à faire. C’est le paradoxe de l’ane de Buridan.

Appliqué au marketing le paradoxe revient à tenter de savoir s’il faut diminuer le nombre d’options qui nous sont proposées ou les élargir. Le problème explique le psychologue n’est pas tant le choix que notre état d’esprit face à lui ou son importance. Si vous devez choisir de vous marier ou de quitter votre emploi, ça vaut certainement le coup d’y réfléchir un peu. Sinon, si vous cherchez la meilleure option – le meilleur film -, cela va vous rendre la vie (et le choix) plus dur. Quand on est en prise à un choix difficile, il faut d’abord savoir si vous voulez passer du temps à résoudre cette question.

Plutôt que de chercher à optimiser le résultat, il est souvent plus efficace de lâcher prise pour pouvoir penser à des choses plus importantes. L’humoriste américain Louis CK a une bonne réponse : “Ma règle est que si vous avez quelque chose qui obtient 70 % de validation, alors vous devez le faire. Le risque sinon est que certaines options disparaissent et augmente votre niveau de frustration à mesure que la douleur à décider augmente.“

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