Smart cities : le risque de la géosurveillance continue – DISmagazine

Sur DISMagazine (@DISmagazine), Rob Kitchin (@robkitchin) revient sur la géosurveillance continue dans les villes intelligentes, cette nouvelle forme de gouvernance à l’ère de l’informatique ubiquitaire. La géosurveillance continue repose sur la production de big data spatiales (reposant sur les capteurs, le GPS, les caméras de vidéosurveillance…) permettant de contrôler, gérer et réglementer en temps réel les villes de demain, ces villes forcément intelligentes. Des villes “instrumentées” qui, sous le prétexte de fournir de meilleurs services, plus efficaces, d’être plus sûres et plus sécurisées… portent atteinte à la vie privée des citoyens en utilisant le profilage et le tri social comme nouvelle norme de gouvernance. Le risque bien sûr, est de créer des villes qui représentent les intérêts de certains groupes au détriment de ceux de tous les citoyens. 

Avec le développement du numérique, les citoyens et les espaces sont devenus connaissables et gouvernables par de nouveaux moyens : imagerie stallitaire, drones de surveillance, caméras de surveillance… permettent, avec l’aide de l’analyse algorithmique (qui identifie visages, démarches, objets, plaque d’immatriculation…) de suivre objets et personnes. Des réseaux de capteurs permettent de mesurer les niveaux de luminosité, de température, sonore, vitesses, produits chimiques, trafics, débits,… et même de procéder à des paiements distants notamment avec les systèmes de péage urbains. On peut retracer les déplacements individuels à partir de l’usage des cartes de transports publics. D’autres capteurs permettent de savoir quels téléphones passent à proximité… Et ces capteurs s’apprêtent à entrer dans les maisons pour surveiller par le détail les consommations électriques comme les aller et venues… Nous mettons en place tout un système de surveillance des mouvements individuels dont la précision et la complétude est peu connu des utilisateurs et qui se fait le plus souvent sans leur permission. Sans oublier les traces de nos achats ou ceux de nos capteurs personnels…

“Collectivement, tous ces exemples démontrent que les lieux dans lesquels nous vivons sont maintenant profondément augmentés, surveillés et réglementés par des assemblages denses d’infrastructures et de technologies appartenant à un petit nombre de sociétés. L’âge des Big Data signifie un déluge de données continue (en temps réel), varié, exhaustif, à gain fin, souvent indicielle, relationnelle, flexible et étendue. Nous ne sommes plus perdus dans la foule : nous sommes identifiés, repérés et tracés.”

Certes, on se rassure en se disant que c’est pour notre bien, que nombre des collecteurs de données n’ont qu’une vue limitée de ces données, qui ne sont pas pleinement interconnectées. Mais entreprises et administrations soulignent et travaillent à leur normalisation pour interconnecter le plus de données possibles via des centres de commandement et de contrôle à l’image de celui de Rio de Janeiro qui combine l’accès à de vastes données géospatiales et des données de plus de 30 agences de l’administration publique et celles en provenance de médias sociaux. Ce nouveau panoptique orwellien préfigure un assemblage socio-technique d’un Etat totalitaire puisque capable de tout voir, qui peut potentiellement étouffer toute dissidence avant même qu’elle puisse s’organiser puisqu’elle surveille jusqu’aux protestations de rues. 

“L’un des fondements essentiels de lois sur la confidentialité et la protection des données repose sur la minimalisation des données : les données générées pour être pertinentes pour une tâche ne doivent pas être utilisées pour un autre but que celui pour lequel elles étaient produites.” Nous n’en sommes plus là. Au contraire. Cette réorientation, qui consiste à utiliser des données créées pour une fonction à une autre, est une dérive (control creep). Les dérives suppriment les barrières entre les systèmes cloisonnés, oubliant les bonnes raisons qui président à ces cloisonnement (protéger la vie privée, prévenir les défaillances des systèmes, limiter le pouvoir…). 

Pour Kitchin, l’autre préoccupation qui va avec le développement de ces systèmes de géosurveillance continue est la problématique de gouvernance technocratique. C’est croire que tous les aspects d’une ville peuvent être mesurés, surveillés, traités, prédits comme des problèmes techniques par des solutions techniques. Et, à la suite de Morozov et d’autres, Kitchin évoque l’aspect réductionniste et fonctionnaliste de cette vision. Enfin, les systèmes technocratiques ont tendance à centraliser le pouvoir et la prise de décision plutôt que leur distribution et la participation. Sans compter que ces systèmes sont souvent confiés à des entreprises au nom de l’Etat créant à la fois des inquiétudes sur leur marchandisation et un lock-in technologique par ces mêmes entreprises. 

La clé de ce défi repose sur l’équilibre des droits individuels et des biens publics, qui doivent être vivement réaffirmer face à ceux des entreprises de la géosurveillance continue. Un défi politique assurément. 

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